Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets | Photo : Marc-Samuel Larocque, Agent de communication
Le gouvernement Ford, en Ontario, vient d’annoncer des coupures importantes dans le secteur de l’éducation postsecondaire.
Premièrement - et surtout - on retient les coupures de 10% dans les droits de scolarité, imposées aux collèges et universités de la province. De quoi réjouir les étudiant.e.s, évidemment, mais les critiques prévoient déjà un impact à long terme qui soit plus négatif que positif pour les institutions. (Radio-Canada)
Tout fier, le gouvernement estime à 450 M$ les économies, et annonce déjà que les droits de scolarités seront gelés l’année prochaine. (Radio-Canada)
Disons-le: ce rabais est un écran de fumée, sans plus, parce que le gouvernement l’impose aux universités sans le financer. (COU)
Ça signifie que quelqu’un va devoir payer; et si ce n’est pas le gouvernement, ni les universités...
Par hasard sans doute, ce rabais ne s’appliquera pas aux étudiant.e.s internationaux. Il n’y a essentiellement pas d’autre option: il faudra admettre davantage d’étudiant.e.s internationaux, ou à défaut, augmenter les frais pour ces étudiant.e.s. Passez la facture aux étrangers, quoi - du populisme pur et simple. Pis si jamais ça passe croche, vous pourrez le faire descendre avec une bonne bière à 1$. (Radio-Canada)
Tsé, quand c’est clair que tu paies pour de la qualité?
Mais les étudiant.e.s ontariens ne s’en tirent pas sans séquelles pour autant. Toutefois, ces séquelles viendront après les études, comme dans le bon vieux temps.
Parce que deuxièmement, le gouvernement Ford annonce des coupures dans l’aide financière aux étudiants. Dans un premier temps, le seuil d’accès au statut d’étudiant indépendant passera de quatre à six ans après la sortie du secondaire.L’objectif est d’accorder une plus grande part des bourses aux étudiants en situation de grave besoin financier. Il faut admettre que le nombre d’étudiant.e.s indépendants avait grimpé de 33% en un an sous le programme de gratuité, ce qui indique un problème potentiel. (The Star)
Si on comprend la cible, on s’interroge en revanche sur la solution. Pourquoi pas des critères d’admissibilité plus fins, qui auraient permis d’éviter que tous les étudiant.e.s qui se qualifient comme indépendants pour des raisons techniques (beaucoup par exemple déclarent habiter chez leurs parents, mais restent éligibles sous les critères mis en place par le gouvernement précédent) en reçoivent automatiquement, plutôt que la ligne dure des 6 ans? Y’en a qui ont besoin d’aide et qui vont se faire claquer la porte au nez, qu’on le veuille ou non.
Mais c’est pas fini! Dans un deuxième temps, Ford élimine la gratuité pour les étudiants de famille à faible revenu, par le biais du rétablissement d’une partie remboursable à l’aide financière. (CBC)
Parmi les autres changements, on compte la diminution des montants maximum de bourse et la hausse de la contribution parentale attendue. Deux autres mesures qui désavantagent les étudiant.e.s dépendant de l’aide financière. (HESA)
Il faut dire que les premiers rapports sur l’impact du programme de gratuité postsecondaire en Ontario ont révélé une faible augmentation (1% à l’université, 2% au collège) des nouvelles inscriptions. Mais là-bas comme ici au N-B, il semble précipité de juger de l’efficacité des programmes si peu de temps après leur mise en effet. Et encore pire, d’utiliser ce justement hâtif pour motiver des coupures majeures dans l’aide financière.
Et troisièmement, la cerise sur le sundae: certains frais afférents deviendront optionnels. Quant à savoir lesquels, la chose n’est pas claire; le gouvernement disant que « Les frais destinés à financer les principaux services et installations offerts sur l'ensemble du campus ou les frais qui contribuent à la santé et à la sécurité des étudiantes et étudiants sont considérés comme obligatoires et continueront de faire partie de la structure tarifaire » (Ontario). Le gouvernement dit vouloir donner aux étudiant.e.s le pouvoir de décider quels services ils acceptent de financer. Par exemple, si untel entre dans une rage incontrôlable en apprenant que la fédération étudiante remet des fonds à un club étudiant aux positions pro-choix, ou pro-Palestine (pour ne nommer que deux cibles populaires) il faut que ce dernier ait l’option de se faire rembourser.
OK, c’est pas de même que ça marche la taxation, mais passons. C’est pas le 0,001$ des frais que tu paies à la fédération étudiante et qui se ramasse dans le budget du club qui fait l’objet de ton outrance qui va changer grand chose dans l’eau des bines.
Sauf que plusieurs s’entendent pour dire que le choix de payer ou non pourrait s’étendre à l’ensemble des frais d’association étudiante, ce qui aurait des effets désastreux à la fois sur la vie étudiante et sur la vie académique. Parce que là, tout d’un coup, c’est pas juste le club qui t’enrage qui perd son financement, c’est tous les clubs étudiants, toutes les activités, entreprises et services étudiants catégorisés comme « non-essentiels » par je-ne-sais-trop-qui, en plus de ton pouvoir de représentation auprès de l’institution (qui serait donc ben contente de pouvoir cherry-picker les représentant.e.s étudiants sur ses comités) et du gouvernement (pour qui vous n’existez pas si vous n’êtes pas représentés), de défense de tes droits et intérêts, de ta voix et de ton visage public comme étudiant.e.
C’est le genre de vide qui se voit le mieux une fois qu’il est trop tard.
On peut comprendre la frustration, par exemple, de payer un frais pour des installations sportives quand on n’a aucune raison ni intention de les utiliser. Sauf qu’il faut penser aussi que suivant cette logique, les personnes qui ne sont pas malades devraient être exemptées de payer de l’assurance-santé. Encore une fois, du populisme de la pire espèce.
OK, alors au final, quel sera le résultat de ces mesures en Ontario?
Les étudiant.e.s dans le besoin, malgré les voeux pieux du gouvernement, seront les grands perdants de cette réforme. La raison en est simple: 10% de réduction dans la scolarité, c’est essentiellement une coupure de 10% dans les bourses auxquelles l’étudiant.e de famille à faible revenu avait accès auparavant. Et dont une part redeviendra un prêt. Mais payer son prêt, c’est loin. Ah oui, j’oubliais de dire que l’exemption d’intérêt de six mois sur le prêt provincial a aussi été enlevée par le gouvernement Ford.
La dette totale sera quand même diminuée (sauf peut-être si on ajoute l’intérêt sur la dette supplémentaire?) - reste que comparé à la gratuité, c’est pas les gros chars.
Pour l’étudiant.e sans prêt étudiant, en revanche, c’est effectivement un rabais de 10%. C’est pas de l’aide financière ça, c’est des cadeaux pour les mieux nantis, aux dépens des autres.
La seule chose vraiment sensée dans cette annonce, c’est la réduction du plafond d’accessibilité, qui passe de 175 000$ de revenu familial à 140 000$. Le fait qu’on puisse accéder à l’aide financière quand notre famille rapporte un revenu de 175 000$ peut difficilement être interprété comme sensé - même s’il y a certainement des exceptions, mais je parle de la norme.
Donc au final, ça s’annonce mal en Ontario. Mais pourquoi en parler chez nous?
Simple: notre propre programme d’aide financière est essentiellement calqué (même si c’est en louchant un petit brin) sur celui de l’Ontario. Ce qui sera tenté là-bas peut donner l’impression de pouvoir marcher ici - surtout avec un gouvernement qui ne compte pas énormément d’expertise postsecondaire. Des idées à la Ford pourraient facilement se trouver dans le prochain budget. Sans dire que notre gouvernement soit incapable de faire preuve d’originalité, il faut admettre qu’il est plus friand d’imitation que d’innovation.
Pas que ce gouvernement-ci non plus; mon observation se veut générale.
Et on en a déjà assez à s’inquiéter ici, avec le club des crédits d’impôt qui siège à Fredericton, sans chercher par-dessus le marché à importer le malheur des autres.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.