Texte : Raymond Blanchard, agent de recherche et projets | Photo : Marc-Samuel Larocque, Agent de communication
Je disais dans le premier texte de cette série qu’il semblait logique pour le gouvernement Higgs de suivre le plan laissé derrière par le gouvernement Gallant en ce qui concerne l’évaluation et la modification des programmes d’aide financière (GNB). Ou, du moins, qu’il semblait résolu à étudier - à partir de je-ne-sais-trop-quelles données - ces programmes en profondeur avant d’agir. Eh bien, d’après les premières interventions du gouvernement en Chambre sur le sujet, je suis forcé d’admettre que je doute désormais de la justesse de cette première impression.
Tel qu’on nous le présente, l’objectif n’est pas d’abolir à tout prix le DSG (GNB) et le PADSCM (GNB), mais bien d’évaluer l’efficacité de ces deux nouveaux programmes selon une multitude de critères afin de guider la décision. Il se pourrait donc qu’ils soient maintenus tel quels, modifiés, intégrés dans un nouvel ensemble de mesures d’aide incluant un nouveau crédit d’impôt, ou carrément abolis et remplacés par des crédits d’impôt.
Tout ça serait sur la table, comme je vous parle.
Mais plus que la variété d’options qui sont considérées par le gouvernement Higgs, c’est la rapidité avec laquelle il s’attend de terminer l’évaluation du DSG et du PADSCM qui me fait douter que le contrat avec l’IRDF (IRDF) sera honoré par les progressistes-conservateurs. En réponse à une question de l’opposition sur le maintien des programmes, le premier ministre Higgs a répondu qu’il s’attendait d’avoir évalué la question dans un délai de trois mois.
Trois mois, pour évaluer l’efficacité de programmes qui sont en place (conjointement) depuis une année, et dont les résultats pourraient être mesurés de manière fiable au plus tôt dans 4 ans (d’où l’échéancier proposé par l’IRDF). On est pressés d’avoir des résultats, décidément. À ce jeu, on peut se demander si les résultats mesurés seront les bons et, même si on parvient à établir des mesures, si ces dernières seront valides (HESA).
Mais bon, comme l’examen se veut un exercice non-partisan, pourquoi s’inquiéter?
Trois mois, ça nous apporte en février-mars, aux environs du dépôt du prochain budget provincial. Ce sera le premier du gouvernement Higgs; ou devrait-on dire Higgstin? Higgs ne détient pas les votes nécessaires à faire adopter ce budget à lui seul, après tout, et il est certain que l’opposition votera contre l’abolition du DSG et du PADSCM si la solution proposée est de revenir en arrière avec des crédits d’impôt. Bref; règle générale, les changements majeurs sont annoncés au moment de présenter le budget. Mais je le répète; rien d’inquiétant, si on en croit les paroles du premier ministre à ce jour.
Le 27 novembre, questionné sur la question du maintien du DSG et du PADSCM, le ministre de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail (MÉFT), Trevor Holder, a répondu ceci (je traduis):
« Notre objectif est d’assurer que chaque programme atteint les cibles dont nous avons besoin pour les étudiants de la province. M. Gallant dit, en se basant sur des échanges avec des leaders étudiants, que le rabais sur les droits de scolarité ne fonctionnait pas. Mais je vais vous dire que nous avons reçu des milliers de courriels et une pétition électronique venant de gens nous disant que ce crédit d’impôt était ce qui les gardait dans la province. Pour cette raison, nous devons évaluer chaque programme et nous assurer d’obtenir les résultats que méritent nos étudiants. » (Période de questions, 13:25, 27 novembre 2018)
Maintenant, s’agit de savoir quelles sont ces cibles, si cruciales à la décision qui se profile.
En temps normal - et si on s’en remet aux objectifs du DSG et du PADSCM - les cibles à atteindre se trouvent du côté des nouvelles admissions chez les étudiant.e.s de familles à faible revenu et à revenu moyen. Sans avoir à portée de main des données provinciales touchant à ces questions, on se souviendra que les premiers signes semblaient encourageants (FÉÉCUM). Il ne s’agit encore que de spéculation. Il est encore trop tôt pour en savoir assez long, quoi.
Mais d’après le premier ministre Higgs, on pourrait déjà brosser un portrait large de la situation (je traduis):
« Le but n’est pas de comprendre combien d’étudiants sont effectivement allés à l’université - c’en est une partie - ou une institution postsecondaire. C’est évidemment une partie du but. Pourquoi y sont-ils allés? Est-ce qu’ils y restent? Sont-ils en voie de graduer? Ou est-ce que c’est quelque chose qu’ils ont fait parce que c’était gratuit? L’idée est d’assurer que les programmes fonctionnent - qu’il fonctionnent pour atteindre les buts établis d’aider les gens qui veulent s’aider en allant chercher de l’avancement dans leur carrière dans notre province. » (Période de questions, 13:25, 27 novembre 2018)
Comme vous le voyez, la crainte principale du gouvernement Higgs semble être d’éduquer des flancs-mous. Comme si l’obtention du diplôme était automatique. L’avancement aussi, tant qu’à ça. Notons que les questions posées dépendent largement de résultats mesurables à long terme, après l’obtention du diplôme. Si ces questions sont posées aujourd’hui, la réponse ne permettra probablement pas de mesurer l’impact des programmes qu’on se propose d’évaluer. Du moins, pas sous l’angle recherché.
Bon, peut-être que l’inquiétude est en fait d’étirer la piasse autant que possible en ne donnant que de l’argent à ceux et celles qui terminent leurs études. Tant pis pour les autres, quoi; mais ce serait oublier l’impact que le stress financier a sur la capacité de poursuivre et de terminer des études (FCÉÉ).
Revenons à l’affirmation du ministre Holder. Il faudrait voir la preuve de ces milliers de courriels, de un, et ensuite en savoir plus long sur les gens qui ont signé la pétition. Par ailleurs, l’Assemblée législative exige que les pétitions soient signées d’un député et imprimées ou manuscrites (page 18, GNB) - ce qui exclut de facto les pétitions électroniques. Rappelons que n’importe qui, n’importe où, peut y apposer sa signature, et pour une variété de raisons.
Il demeure incontestable que l’annulation du RDS par le gouvernement Gallant a fait bien des mécontents (FÉÉCUM): une cohorte entière d’étudiant.e.s se voyait essentiellement privée d’aide financière. C’est peut-être vrai que certains ont choisi d’entreprendre des études uniquement en raison de ce crédit d’impôt. Doutons toutefois qu’il s’agisse de la majorité, car les bénéfices n’étaient récoltés par l’étudiant.e que deux ans après l’obtention du diplôme.
N’importe qui serait frustré de perdre l’accès à un rabais de 20 000$, sauf qu’il me semble tiré par les cheveux de dire que c’est ce qui garde qui que ce soit dans notre province, ou qui décide de la capacité à entreprendre des études. Surtout quand on peut étirer le montant sur 25 ans. Et si les «résultats» doivent plutôt toucher à la rétention des diplômés, rappelons que malgré le RDS, l’exode s’est poursuivi chez la jeunesse du N-B entre 2007 et 2015 (Statistique Canada).
Questionné à nouveau le 28 novembre sur l’examen des programmes d’aide financière , le premier ministre a déclaré (je traduis):
« Notre but est d’obtenir une valeur ajoutée sur l’argent dépensé, et si nous ne trouvons pas cette valeur ajoutée, nous trouverons d’autres domaines ou dépenser de l’argent pour obtenir une valeur ajoutée, parce nous devons trouver de la valeur ajoutée et nous ne devons pas ajouter de nouvelles taxes. » (Période de question, 10:25, 28 novembre 2018)
Nous sommes donc (déjà?) venus à la question du retour sur l’investissement. C’est tôt, mais Higgs ne semble pas avoir le temps ni le souci de ménager les sensibilités. Quand on a l’expérience qu’il a, j’imagine qu’on n’a pas le temps d’attendre. Et encore moins avec une fenêtre de 18 mois pour faire ses preuves. Ça presse.
Le public cherche déjà sa valeur ajoutée, au pays des crédits d’impôt.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.