Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Vous avez peut-être suivi récemment le naufrage du processus de sélection du prochain recteur de l’Université de Moncton? Il s’avère maintenant que tout devra être repris depuis le début, en raison d’une fuite majeure d’information ayant brisé la confidentialité du processus. Les précédents en la matière, à l’Université, laissaient croire que le choix s’imposerait de lui-même (FÉÉCUM).
L’Université a “réagi” en partageant son intention de soumettre une plainte à l’ombudsman de Radio-Canada (UMoncton). Je présume que c’est parce qu’on croit en haut lieu que ce sont les journalistes qui sont responsables de cette fuite, et pas les personnes au sein de l’institution qui avaient l’information confidentielle en main. Bref, n’attendez pas que le ou la coupable soit pointé du doigt, puisqu’il semble clair que cette personne s’en tirera sans séquelles. Disons que dans les circonstances, la décision de reprendre le processus semble la bonne.
On sait par ailleurs déjà que Camille Thériault, jusqu’alors figure de proue de ce navire administratif voguant paisiblement vers le rectorat, ne soumettra pas sa candidature à nouveau (Radio-Canada). Sensé, puisque c’est sa candidature qui semble avoir motivé le ou les fautifs à faire avorter le processus. Interrogé sur sa décision, M. Thériault a déclaré que: « le choix du prochain recteur [doit être] le résultat d’un débat sur le futur de l’Université et sur sa pertinence pour la communauté acadienne, pas sur la candidature d’une seule personne ».
Lucide dans le juste assez. Pourtant, son retrait du processus ne changera pas grand chose. Pessimiste, me direz-vous; possible, mais songez que l’Université a forcément besoin, après six années de rectorat insipide sous Théberge, d’une dose de personnalité au poste. Inconnus s’abstenir. Et la notoriété côtoie habituellement la controverse.
Entre temps, l’intérim de Jacques Paul Couturier se poursuivra jusqu’en juin 2020 (Acadie Nouvelle). Osons dire qu’il s’acquitte généralement bien de la tâche qui lui incombe jusqu’ici - exception faite de certains propos récents (Acadie Nouvelle).
Désolé, mais évoquer la nécessité d’augmenter les revenus après avoir révélé un surplus de 9 millions$ (UMoncton), ça se condamne tout seul. Et ce, tant par les étudiants que le gouvernement - qui semble aussi ciblé par les remarques de M. Couturier.
Il demeure que la question se pose: on voudrait vous faire payer plus pour quoi, au juste?
Le débat autour de la fuite a abordé cette question précise. La semaine dernière, le frère de Camille Thériault et coordonnateur des conférences Acadie 2020, Mario Thériault, évoquait le besoin d’une transformation profonde de la structure administrative et académique de l’Université de Moncton (Acadie Nouvelle). L’objectif - et c’est une idée que semblent partager les frères - serait de permettre à l’Université de Moncton de mieux servir la communauté acadienne. La création d’une « culture de changement » au niveau de l’institution est une condition sine qua non pour y parvenir. L’Université fait du surplace, d’après Mario Thériault; elle doit être plus.
Durant son discours d’ouverture à Acadie 2020, il a d’ailleurs posé deux questions qui auront regriché bien des chignons: « Peut-on vraiment garantir une éducation de qualité sans masse critique d’étudiant dans certains programmes? Pourquoi est-il si difficile de modifier des programmes? » (Acadie Nouvelle). Pour lui, le changement s’impose et vite, mais la machine tarde à se mettre en branle, à commencer par la modification de l’offre.
Cette opinion en a appelée une autre, exprimée cette fois par le professeur Mourad Ali-Khodja. Le professeur de sociologie/criminologie et directeur du GRICC n’entend pas à rire quand il est question de planification académique. Il résume par ailleurs les propositions de Mario Thériault en ces termes:
«[C]e constat en stagnation tient plus du procès que fait une personne qui finalement n’a jamais oeuvré dans le milieu universitaire - sinon à titre d’étudiant - et qui [...] ose porter de l’extérieur de l’institution, une série de jugements plus que tendancieux et éminemment contestables sur ce qu’elle doit ou ne doit pas être. » (Acadie Nouvelle)
On notera que M. Ali-Khodja accorde une valeur limitée à la contribution étudiante - avoir été étudiant ne suffit pas pour permettre à Mario Thériault de juger de l’avenir de l’Université. Intrigant, quand il ajoute en fin de texte:
« [C]’est à la communauté universitaire elle-même - corps professoral et étudiants réunis - qu’il revient donc de procéder à un examen rigoureux de l’état actuel de l’Université et d’en penser, en connaissance de cause, l’avenir ». On se demande quelle rôle serait réservé à la population étudiante dans cette conversation, sinon celui de béni-oui-oui.
Drôle, avouons-le, quand on compte 4847 étudiant.e.s et 363 profs à l’Université, au dernier décompte (UMoncton).
Une autre remarque de M. Thériault, touchant cette fois à la permanence d’emploi, s’est méritée le recours à l’arme nucléaire du monde universitaire: et j’ai nommé la liberté académique. Une fois que la liberté académique entre dans le débat, oubliez la question.
La question se pose ailleurs au pays ces derniers temps: certaines institutions aimeraient se donner les moyens d’écarter les professeurs jugés problématiques, en soumettant le maintien de la permanence à un processus d’évaluation de la performance. Pensons à un Jordan Peterson ou à un Ricardo Duchesne (FÉÉCUM); nul doute que certains souhaiteraient pouvoir leur retirer la permanence, pour protéger la réputation de l’institution. Évidemment, la crainte de plusieurs est que ça devienne un outil administratif de contrôle sur les professeurs (CBC). Ce n’est peut-être pas l’objectif visé, mais ça n’a pas besoin de l’être si le but est de rejeter la proposition en écartant toute possibilité de discussion.
En entrevue au Réveil, Mario Thériault nomme la permanence d’emploi des professeurs comme un facteur parmi d’autres contribuant à la nature « immuable » des universités, qui l’empêche d’évoluer au rythme des besoins de sa clientèle (Radio-Canada). Woupelaïe, permanence et clientèle, dans une même intervention? Thériault n’y va pas avec le dos de la main morte, pour citer Jean Perron (faites-vous plaisir).
Y’allait forcément y avoir des plumes qui voleraient. C’est trop flagrant pour être innocent.
Deux visions diamétralement opposées, donc; la première qui tend la main à la communauté acadienne, l’autre qui lui tourne le dos. L’une axée sur la pertinence de l’institution, l’autre sur son autonomie.
Et les deux se défendent - c’est ça le pire.
Quelle pertinence peut espérer avoir l’Université de Moncton pour la communauté acadienne si elle se renferme dans son cocon en lui disant « tu me prendras comme je serai en ressortant »?
Et comment la communauté, il est vrai, largement étrangère au fonctionnement interne de l’institution, pourrait-elle proposer une vision de changement sans pouvoir participer à ses mécanismes et ses processus établis?
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un dialogue de sourd que celui qui aborde l’avenir de l’Université de Moncton, mais que voulez-vous? Passé le cap de la cinquantaine il faut s’attendre à ce qu’on soit un brin dur de comprenure. Pis on est ben, embourré dans sa flanellette, en plus.
Le noeud du problème se trouve dans la composition même de l’Université: même à l’interne les groupes qui la composent (étudiant.e.s - professeurs - administration - employés) arrivent difficilement à s’entendre sur une vision commune, car chacun se considère l’expert le mieux placé pour juger de chaque situation, du moment que ça lui touche. Et après moi, le déluge!
Dans le fond, il faut que tous acceptent le fait que personne autour de la table ne possède la panacée, mais que chacun y apporte un ingrédient. Chacun peut apporter un élément de solution, qu’il s’agisse d’un objectif à atteindre, d’une lacune à combler, d’un besoin à adresser, d’un processus à optimiser ou que sais-je encore, et trouver dans l’expertise des autres ce qui manque à sa propre expérience de l’Université pour en venir à une vision qui constitue un compromis acceptable dans l’atteinte d’un objectif qui devient commun.
En clair: sans savoir quelle forme doit prendre la solution, rien n’empêche d’identifier le problème et - je dirais plus important - de comprendre son impact du point de vue de toute la communauté. On aime tous se croire plus importants, ou plus expérimentés, ou plus qualifiés, mais faut piler sur son orgueil de temps en temps et laisser ses oeillères au vestiaire.
Tout ça dans l’intérêt, d’abord et avant tout, de l’Université: qui a besoin de son corps professoral autant que de sa population étudiante, de ses employé.e.s, de son administration, et d’un lien positif à la communauté. Personne ne la possède mais elle appartient à tout ce monde. Le bien de l’Université voudra dire quelque chose de différent pour chacun.e, car il est intimement lié au bien individuel, mais la conversation n’en est que plus nécessaire.
Car une chose est sûre: le futur va rester loin si on persiste à répéter chacun de notre côté: « mon campus c’est mon campus, ce n’est pas le tien ».
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.