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Racisme? Quel racisme?
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Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
L’Acadie – tout comme le Canada - est reconnue comme une terre d’accueil exceptionnelle, vantée pour l’ouverture d’esprit de ses citoyens et de ses institutions, de même que pour ses valeurs de multiculturalisme. Vous avez déjà entendu cette salade à n’en pas douter : nous l’exportons à la tonne. C’est une stratégie de marketing, fondée il est vrai sur des principes enchâssés dans la Constitution. Malheureusement, ce ne sont pas tous les Canadiens qui ont lu ou qui en appliquent les principes au quotidien.
Car, quand on prend la peine de demander leurs impressions du multiculturalisme et de l’ouverture d’esprit canadiens aux gens qui arrivent de l’étranger, le son de cloche peut être différent. Les membres de minorités visibles (que ce soit en lien avec la race, la culture ou la religion) sont généralement confrontés à des défis qui ne sont pas ceux des Canadiens «de souche». Qui ne sont pas ceux des immigrant.e.s de race blanche, non plus, ou du moins pas au même degré.
En tant que francophones minoritaires dans un milieu anglophone, nous devrions être plus près de ce combat, et plus solidaires de ceux qui le mènent.
Je dis devrions car des nouvelles récentes portent à croire que la société acadienne, et l’Université de Moncton en particulier, tarde encore à s’éveiller à la présence du racisme, croyant le combat achevé au seuil du discours politiquement correct.
Ce n’est pas toujours ce qu’on dit ni ce que nous entendons qui est raciste. C’est ce que nous sommes. C’est ce que nous faisons. Et c’est ce que nous ne faisons pas.
Exemple banal : en général, je ne sens pas de discrimination à mon égard parce que je m’exprime en français. Mais dans le regard, dans le ton des gens qui considèrent que ce n’est pas leur travail de parler français mais bien le mien de parler anglais quand je m’adresse à eux, c’est encore parfois une toute autre histoire. On a tous vécu ça.
I don’t speak French. Pas I can’t : I don’t. Des fois pas de Sorry ni rien.
J’ai le droit constitutionnel d’être servi en français. Mais j’ai certainement pas toujours la patience - ou le temps – de le demander. Des fois, je ne suis carrément pas à l’aise de le faire. Et plus souvent que pas, je vais attendre plus longtemps si j’appuie sur le 2.
Et si le monde avait juste besoin de me regarder pour décider? Si je n’avais même pas la chance de m’ouvrir la trappe avant d’être traité différemment?
Il faut y penser.
Mais entre-temps, revenons-en aux nouvelles : un professeur de l’Université de Moncton et président du Comité provincial des personnes d’ascendance africaine du N-B (CPPAANB), Ibrahim Ouattara, a fait une sortie publique pour souligner l’apathie de notre institution face à la question du racisme (Radio-Canada).
Pourquoi apathie? Ce n’est pas sorti de nulle part – il y a près d’un an, une controverse éclatait à Moncton autour de la nomination d’un doyen, alors qu’un candidat rejeté déposait deux injonctions contre l’Université (Acadie Nouvelle). Au passage, il éclaboussait l’institution, et particulièrement la Faculté d’administration où les étudiant.e.s internationaux représentent environ la moitié des inscriptions, pour la prévalence de certaines attitudes et propos racistes (Acadie Nouvelle).
Des étudiantes et des étudiants internationaux avaient ensuite affirmé que ce ne sont pas tant les comportements ouvertement racistes qui sont problématiques à leurs yeux sur le campus, mais leur intégration. La tendance observée était que les étudiants canadiens se rangent d’un côté, et les étudiants internationaux de l’autre, ce qui ne favorise ni les échanges interculturels, ni le sentiment de solidarité entre ces deux populations (Acadie Nouvelle).
D’autres avaient également souligné le manque de contenu international – et spécifiquement, africain – dans les cours et programmes de l’université, où un.e étudiant.e sur cinq provient désormais de l’extérieur du Canada (Le Front). Certains intervenants du côté de l’Université avaient souligné la liberté, mais non l’obligation, des facultés de créer ou d’adapter du contenu en ce sens.
M. Ouattara a dit à l’époque remarquer cette division, tout comme plusieurs de ses collègues, et suggérait la création de groupes de travail pour proposer des solutions et favoriser des contacts plus nombreux entre les cultures du campus. Le CPPAANB avait en outre adressé une lettre à M. Théberge, lui demandant de faire enquête sur les allégations de racisme faites par M. Fillion, comme celles évoquées par la suite du côté des étudiant.e.s.
L’Université a dit prendre la situation au sérieux et qu’il revenait au recteur de voir s’il fallait donner suite aux allégations. Dans la foulée de son enquête, l’Acadie Nouvelle avait aussi déposé une demande d’information sur la question des efforts d’intégration à l’Université de Moncton, demeurée sans réponse.
Plusieurs des allégations ont été discréditées comme des propos « très probablement diffamatoires » dans la discussion qui a suivi la lecture de la lettre de M. Fillion au Conseil des gouverneurs. Une motion fut adoptée pour retirer la correspondance des annexes au procès-verbal de la réunion, par mesure de précaution (UMoncton). S’il y a eu discussion sur le racisme, aucune trace n’en demeure.
Mais malgré la profession de foi de l’Université, certains, comme l’éditorialiste François Gravel, n’étaient pas dupes quant à la sincérité et à la mesure de son engagement face à la question du racisme :
« Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’une stratégie de relations publiques. Ne retenez pas votre souffle en attendant la publication d’un rapport accablant. » (Acadie Nouvelle), nous disait-il. Et il n’avait – malheureusement – pas tort.
La question n’est pas revenue à l’ordre du jour du CGV depuis. On cherche le progrès. Que dis-je : on cherche l’intention de progresser.
Les allégations de M. Fillion – diffamatoires ou non - ont clairement touché une corde sensible chez les membres de la communauté africaine du N-B. On avait comme l’impression qu’une soupape venait de s’ouvrir, laissant s’échapper une pression accumulée depuis longtemps, n’attendant que le moment opportun de jaillir. Dans sa lettre au recteur Théberge, le CPPAANB disait qu’il :
« prend très au sérieux ces informations inquiétantes et fait part de son indignation face à de tels propos qu’il dénonce et condamne, comme attitudes d’un autre temps, indignes d’une institution de ce niveau reconnue pour sa volonté d’ouverture à la francophonie mondiale »
L’Université s’était engagée à faire un suivi aux questions posées par le CPPAANB. Mais près d’un an plus tard, rien n’a encore été fait. Selon M. Ouattara :
« L’université ne fait jamais rien en dehors des beaux discours, en disant qu’ils sont préoccupés par ça et qu’ils prennent la situation au sérieux. Il n’y a pas de politiques, il n’y a pas d’actions, il n’y a pas d’engagement. »
Ce à quoi le recteur a répondu qu’un groupe de travail sur l’adoption d’un code de conduite avait été créé – le code de conduite est une proposition de l’ABPPUM, vous vous souviendrez, étudiée en parallèle avec celle de la FÉÉCUM pour un poste d’ombudsman (FÉÉCUM). Il faut préciser que ce comité existait déjà en février 2015 (UMoncton) et qu’on peut retracer ses origines à 2013, alors que son mandat était de discuter de la question des droits des étudiants et de la fonction d’ombudsman (UMoncton). Le racisme peut être un des aspects qui y seront discutés, mais ses recommandations ne viseront pas spécifiquement à enrayer le racisme car tel n’est pas son mandat. De plus, il ne fut pas créé pour donner suite aux demandes du CPPAANB.
M. Théberge ajoute que « les gens victimes de discrimination [sont invités] à faire appel à la conseillère en harcèlement et gestion de conflit de l’université ». Cela dit, la Politique pour un milieu de travail et d’études respectueux, administrée par cette dernière, ne fait aucune mention de racisme. On y parle de harcèlement sexuel, de harcèlement sexiste, de harcèlement psychologique, d’abus de pouvoir, mais pas de racisme (UMoncton). Ajoutons que la lettre initiale du CPPAANB demandait explicitement l’inclusion de la catégorie « harcèlement raciste », même à titre symbolique, dans cette politique.
Rien n’en fut.
Vous comprendrez mieux maintenant la seconde lettre du CPPAANB (Le Front), publiée cette semaine et qui n’est pas tendre dans ses propos à l’égard de l’Université, ni du recteur :
« Ce silence, cette indifférence devant des allégations de violation des droits, cette inaction difficile à comprendre, me semble signifier l’une des deux choses suivantes : (a) ou bien il s’agit là d’une autre illustration de cette croyance que nous n’avons pas de problème ici à Moncton, (b) ou bien il s’agit là d’un exemple d’effort délibéré pour ne pas aborder ce problème ou pour ne pas le résoudre. »
Le silence de l’Université se justifie effectivement très mal. D’autant plus que son plan stratégique compte l’internationalisation parmi ses chantiers, et deux des volets de ce chantier, soit la sensibilisation et l’intégration, semblent avoir peu progressé comparativement aux deux autres, axés sur le recrutement et les échanges (UMoncton).
Reste à voir la suite des choses. 2020 arrivera avant qu’on puisse s’en apercevoir.
On peut certes penser à la bigoterie et à l’intolérance tonitruante de certains, mais songeons que c’est dans ses subtilités que le racisme frappe le plus insidieusement. Il est dans les différences au niveau des opportunités, des services reçus; dans les idées reçues ou les stéréotypes négatifs qui continuent d’être véhiculés sans réfléchir aux conséquences (Radio-Canada); dans l’ignorance et la peur de la différence qu’on ne comprend pas.
Je ne crois pas que le CPPAANB accuse l’Université de Moncton d’être raciste. Ce qu’on lui demande, c’est de reconnaître sa responsabilité face au problème du racisme, contre lequel la meilleure arme demeure l’éducation et la connaissance.
En tant que lieu de contact privilégié entre les cultures dans un milieu encore largement homogène, en tant qu’institution-phare en Acadie, le moment est venu – comme le suggère M. Ouattara – pour l’Université d’assumer son rôle de fabrique des sociétés.
Pourquoi on attendrait les crimes haineux pour agir contre le racisme? À ce point-là, nous aurons failli à la tâche et il serait trop tard. On a vu ce que ça peut donner.
« Racisme? Quel racisme? » diront certains… mais attendre de le voir pour le croire, c’est participer au problème.
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.