L'Université de Moncton, je ne vous l'apprend pas, a été récemment aux prises avec de fortes critiques à l'égard de la qualité du français chez ses étudiant(e)s et ses diplômé(e)s. Le tout à débuté comme une guerre de clochers entre profs (comme c'est souvent le cas) qui a débordé dans les médias, puis s'est étendue au reste de la communauté. La FÉÉCUM n'a pas été exempte, mais en bout de ligne des actions ont été entreprises pour régler le problème que nous avions soulevé au sein de cette controverse (Info-FÉÉCUM), et qui touchait aux droits des étudiant(e)s plutôt qu' à la question de la qualité de la langue.
Mais cette question demeure. C'est pourquoi le Conseil de la langue française de l'UdeM soumet actuellement à l'opinion de la communauté universitaire des trois campus son projet de nouvelles exigences linguistiques (CLF).
En gros, il est proposé d'établir des normes plus strictes en ce qui a trait à la correction de la langue écrite dans les travaux universitaires. Cela s'opère spécifiquement afin d'encourager les étudiants et étudiantes à châtier un tantinet leur langue, de l'avis de tous dépossédée de ses glorieux atours d'antan, voire de l'élan bucolique que lui insufflaient jadis nos aïeux par les lyriques envolées de leurs vertueuses déclamations.
Nonobstant axiomatique tergiverse parcimonieux.
La proposition du CLF inclut trois options : une raisonnable mais molle, l'autre un peu plus salée mais encore réalisable, et une troisième plutôt extrême. Cela porte à croire que l'on sache d'emblée laquelle sera retenue, mais qu'on les présente toutes pour satisfaire les critiques. À vous d'en juger, les voici :
- Pénalité d'une seule lettre pour les travaux faits à la maison;
- Comme la proposition 1, mais en y ajoutant les examens;
- Pénalité maximale d'une lettre (travaux et examens) pour les cours de niveau 1000 et 2000; de deux lettres pour les niveaux 3000 et 4000; et de trois lettres pour les cours de niveau 5000.
Peu importe l'option qui sera choisie en bout de ligne, il y a un problème (allez aux toilettes maintenant, parce que ça va être long):
Si les travaux sont notés différemment des examens (option 1), peut-on dire que la note finale reflète le niveau de maîtrise de la langue? Il demeure que cela semble être la meilleure option, en ayant un impact potentiel sur les notes (ce qui forcera au moins une relecture attentive), sans forcément mettre la réussite en péril. Suivant cette option, les étudiant(e)s doivent surtout savoir utiliser la quantité d'outils accessibles pour améliorer leur expression écrite. On peut croire qu'une certaine proportion d'étudiant(e)s verra ses notes en souffrir, mais si un réel effort est déployé tant au niveau de la langue que du contenu, tout le monde devrait pouvoir s'en tirer relativement bien
Donc, il s'agit de l'option qui causera le moins de heurts, tout en entretenant l'idée que l'Université agit pour redresser la situation. C'est pourquoi j'imagine que ce sera probablement celle qui sera retenue et appliquée en bout de ligne. Mais c'est plutôt mou.
Si tous les travaux (incluant les examens en classe) sont soumis à des exigences linguistiques pouvant retrancher une lettre de la note finale (option 2), il risque d'y avoir plus de conséquences immédiates et directes pour les étudiant(e)s.
En fait, deux choses risquent de se produire : soit ceux et celles qui connaissent déjà des difficultés face au contenu du cours verront leurs chances de succès s'amoindrir, soit les profs vont corriger moins strictement pour éviter que cela se produise. J'ai vu cela arriver, tant comme étudiant que comme correcteur: il n'y a aucune raison de croire que cela sera différent en présence d'exigences plus sévères. Vous avez peut-être déjà eu un prof qui a majoré la note d'un test ou d'un travail quand la moyenne de la classe est trop basse ou le taux d'échec anormalement élevé? Ça pourrait arriver plus souvent, et finalement on n'aura aucunement travaillé pour régler le problème, qui est d'améliorer la qualité de la langue.
Et puis, la question de la qualité de la langue chez les professeurs se pose également : est-ce que tous ont la capacité de refléter ces exigences linguistiques dans leur pratique professionnelle, tant au niveau de l'enseignement que de la correction? Et cela, c'est encore sans parler de la problématique potentielle quand la correction des travaux d'un même cours peut être affectée à un(e) ou plusieurs correcteurs ou correctrices, dont les compétences linguistiques peuvent également varier, malgré le soin apporté dans la sélection de ces individus.
Enfin, si les exigences deviennent plus (et aussi) sévères dans les cours 3000, 4000 et 5000 (option 3), les moyennes cumulatives pourraient bien chuter et ce n'est pas dans l'intérêt des étudiant(e)s, dans la perspective de passer au 2e ou 3e cycle, ou même d'entrer sur un marché du travail très compétitif. Plus de rigueur dans leurs travaux venant de ces étudiant(e)s est une attente raisonnable, mais la transition pourrait s'avérer extrêmement difficile pour les premiers groupes qui y seraient soumis.
On imagine que les nouvelles exigences seront appliquées à partir de la 1ère année d'une cohorte donnée (et des suivantes bien sûr). C'est la manière logique de procéder en vue d'une transformation durable. Et encore là, ce serait injuste pour cette cohorte puisque tous les étudiants plus avancés (incluant certains suivant les mêmes cours au même moment, et possiblement dans les mêmes classes) en seraient exemptés. D'ailleurs, ça ne serait pas plus évident pour les professeurs qui enseignent des cours se classant dans plus d'une catégorie au niveau des exigences, et encore moins pour les correcteurs.
Malgré l'importance du français dans la mission de l'Université, est-il sage de la faire primer (dans le contexte où trois lettres peuvent être retranchées) sur les compétences acquises en vertu des programmes universitaires; un(e) étudiant(e) peut être extrêmement compétent(e) dans son domaine, même si la qualité de son français écrit laisse à désirer. Et malheureusement l'anglais demeure, dans bien des domaines, la langue la plus importante à maîtriser même pour ceux et celles qui auront étudié en français.
La proposition du CLF soulève donc une masse de questions. En clair, la proposition 1 semble la seule qui ait une réelle chance de fonctionner. Pensez-en ce que vous voudrez, mais malgré l'importance du français dans la mission de l'UdeM, elle demeure une université; et la valeur d'un diplôme universitaire devrait être axée sur les compétences universelles et transférables qui y sont acquises; c'est injuste pour l'étudiant(e) de voir sa moyenne cumulative souffrir à cause de ses compétences linguistiques, aussi insuffisantes soient-elles. Après tout, rien ne garantit à l'étudiant(e) diplômé(e) de l'UdeM que son milieu de travail sera francophone.
Mais, ici encore, les choses sont infiniment plus complexes.
Par exemple, la langue n'est pas qu'un outil de communication; c'en est également un de compréhension. Or, comprendre le contenu de n'importe quel cours est une condition sine qua non de la réussite, ne diriez-vous pas? En ce sens, la compétence linguistique est déjà enchâssée dans l'expérience universitaire, peu importe les standards officiels qui y sont appliqués.
Tout cela étant dit, les exigences méritent sans doute d'être plus sévères dans certains domaines que d'autres, et que la proposition 1 ne serait peut-être pas suffisante pour EDUC, LING, FRAN, LITT, ICOM, HIST, SCPO, ou TRAD et d'autres encore, bref les domaines où la langue française est l'instrument de travail principal. Mais en sciences, en administration ou en génie? Je ne suis pas convaincu. Encore là, la question de la justice versus l'objectif versus la pertinence des exigences linguistiques (c'est une dialectique mexicaine!) se pose. Une autre question s'ajoute : l'UdeM peut-elle, à elle seule, guider une génération entière de locuteurs francophones hors des méandres de la semi-littératie?
Petit fait amusant : le terme «littératie» est un anglicisme. Merci, Robert!
Je pense qu'il faut une réelle transformation de l'approche vis-à-vis les exigences linguistiques à la fois au niveau scolaire et postsecondaire si on veut espérer un véritable changement et l'amélioration durable de la capacité des francophones d'ici à maîtriser leur langue. C'est ce qui semble être l'enjeu fondamental. L'UdeM seule ne peut pas accomplir ce miracle, le système scolaire seul n'y arrivera pas non plus; c'est pour ça qu'il est important de parler de l'éducation comme d'un projet de société parce qu'en bout de ligne (et en début de ligne, tant qu'à ça), c'est la collectivité acadienne et francophone du N-B qui tirera le plus grand bénéfice de l'amélioration de la qualité de la langue (et de la perpétuation du français). Or ici encore, que fait-on de la clientèle internationale de l'Université de Moncton? Comment s'inscrit-elle dans la mission de l'Université dans une perspective linguistique? L'argument culturel s'applique-t-il? La mission de l'Université envers la collectivité acadienne demeure-t-elle pertinente? Le mot «acadienne» est-il le bon? Qui va me crucifier pour avoir osé poser cette question?
Tant d'interrogations surgissent!
C'est un enjeu culturel, linguistique, politique et social... qui déborde largement le domaine universitaire. Oui, l'UdeM a été créée, quelque part, pour affronter cet enjeu, mais on ne peut pas avoir d'espoir réaliste qu'elle réussira, seule, à changer la situation actuelle. Cependant, et le travail du CLF le démontre, l'UdeM a su reconnaître que l'inaction n'est pas une option dans ce dossier.
Nous vous encourageons conséquemment de répondre au sondage.