
Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Au revoir Brian, hello/bonjour Blaine.
Ce fut long - inutilement long - mais l’élection du 24 septembre est maintenant terminée. Brian Gallant, le chef du Parti libéral et premier ministre sortant, a gagné le vote populaire mais au final, avec un siège de moins que le parti Progressiste-conservateur (PC), n’a d’autre choix que de céder sa place à Blaine Higgs (Radio-Canada). Cette fois, les dieux des mathématiques nous disent que ça pourrait tenir. Combien de temps, ça reste à voir.
Ce gouvernement est minoritaire. C’est la seule certitude.
En principe, ça signifie que le parti qui forme le gouvernement doit faire preuve de tact et de précaution. En fait, il lui devient impossible de gouverner - au sens de mener un programme quelconque - sans pouvoir rallier une majorité de votes à ses propositions. Pour les items de cuisine, les affaires courantes et ainsi de suite, ça devrait aller; personne n’a d’intérêt à tenir la province en otage au nom du gain politique. En revanche, nous ne devrions pas voir de grands projets (re)faire surface, ni de projets de loi moindrement controversés être proposés.
Sauf que les premiers indices vont en sens contraire, Blaine Higgs semble bel et bien déterminé à gouverner comme s’il avait un mandat majoritaire (CBC). Y’a ça de bon que ça nous dit au moins qu’il compte faire plus que simplement se maintenir au pouvoir. C’est le «quoi» qui inquiète un brin, peut-être.
Non seulement il est minoritaire, mais sa minorité est particulière car, s’il doit éventuellement nommer une présidence d’assemblée parmi ses rangs, son avantage sera effacé.
Pour l’instant, le Libéral Daniel Guitard demeure en poste comme président de l’Assemblée. Il a cependant lancé un message clair à Blaine Higgs que c’est une position qu’il est disposé à quitter si son Parti le lui demande, ou si le PC cherche à amener la province dans une direction contraire à ses valeurs (Acadie Nouvelle).
La présidence d’assemblée est un rôle protocolaire non-partisan qui possède le pouvoir de trancher le vote en cas d’égalité - généralement, ça signifie donner son appui au parti formant le gouvernement. Mais si ce parti est minoritaire, et que la présidence est issue de l’opposition? Si Guitard quitte son poste, Higgs devra lui nommer un successeur, qui viendra plus que probablement des rangs du PC.
Le parti libéral a 21 sièges (20 sans Guitard) et le PC, 22. Six sièges sont détenus par les tiers partis, trois du côté de l’Alliance des Gens du NB (AGNB), qui a assuré son soutien au PC pour une période de 18 mois, et trois autres au parti vert, plus proche idéologiquement des positions des Libéraux. Dans une situation où Guitard quitterait son poste et que Higgs devait lui substituer un membre du PC, il y a essentiellement égalité en Chambre et le maintien au pouvoir du PC dépend du vote de la présidence d’assemblée.
Vous voyez pourquoi ça pourrait être problématique?
Rappelons que sur papier, il n’y a pas d’alliance entre le PC et l’AGNB. Sauf que vous savez comme moi que sur le terrain, la vérité sur papier en prend souvent pour son rhume. Et avec Kris Austin qui dit s’attendre à une relation donnant-donnant avec le PC (Radio-Canada), la démission de Daniel Guitard restera l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de M. Higgs.
Par ailleurs, le secteur associatif acadien est sur le pied-de-guerre. Il ne laissera certainement pas le gouvernement lui en passer une vite (Acadie Nouvelle). Appelons un chat un chat: chaque décision prise par le gouvernement Higgs sera scrutée à la loupe des droits francophones. Et ce, à l’extérieur de la Chambre autant qu’à l’intérieur; ce qui ne devrait pas plaire énormément à l’AGNB. Le président de la SANB, Robert Melanson, a résumé la situation dans une lettre ouverte à M. Higgs, tout en ouvrant la porte à une collaboration qui puisse dissiper ces inquiétudes (Acadie Nouvelle).
Ces inquiétudes sont d’ailleurs nombreuses et bien fondées. Déjà, l’avocat Michel Doucet sonne l’alarme sur la solution avancée par le PC et l’AGNB à la pénurie de paramédicaux, soit par l’embauche d'unilingues à des postes désignés bilingues: il y voit un dangereux précédent pour l’application des droits linguistiques de la minorité francophone sous la Charte (Radio-Canada). Sans pouvoir - et espérons-le, sans souhaiter - s’attaquer directement aux droits linguistiques, le PC pourrait mettre en péril certains acquis de la minorité francophone.
Le commissaire par intérim aux langues officielles, Michel Carrier, se dit aussi inquiet du «ressentiment» qui existe toujours à l’égard des droits linguistiques, bien qu’il n’affecte qu’une minorité de la population (Radio-Canada).
Ce qui nous ramène au Lone Francophone, Robert Gauvin. Sa position est délicate: seul et unique député francophone du PC, il a dit et je cite: « la longévité de Blaine Higgs va dépendre de la façon dont il va traiter les Acadiens » (Radio-Canada). Mais, comme la longévité de Robert Gauvin pourrait très bien elle aussi dépendre de celle de Blaine Higgs, on verra bien si et comment cette mise en garde se concrétisera. Il lui faudra peut-être un moment donné faire un choix entre sa passion et sa pension. Sans douter de sa sincérité, Robert Gauvin n’a pas à première vue de gains à réaliser en bloquant son chef.
L’embauche dans les postes désignés bilingues chez Ambulance N-B sera le premier terrain de bataille, à plus forte que raison que Higgs veut régler ça dans les dix jours qui suivent son assermentation; et je vous avertis que la liberté d’expression risque d’avoir le dos large.
Je me demande si Gauvin pensait à ça quand il a “averti” son chef, le soir de l’élection? Parce que l’élection de trois députés de l’AGNB (dont les positions- sinon celles du parti, celles des ses électeurs - contre le bilinguisme sont claires) augure bien mal pour un changement positif dans le discours anti-dualité, anti-bilinguisme et au sens large, anti-francophone dans notre province. Et tant que le pouvoir du PC dépendra de l’AGNB, il sera risqué pour Higgs de réaffirmer les droits de la minorité francophone.
Oui, pour être intéressant ça va être intéressant. Peut-être pas très productif ni innovateur, et plus que probablement désolant à ses heures, mais intéressant.
Disons au passage que Higgs, affichant un bel optimisme, se voit au pouvoir pour quatre ans. C’est qu’il considère que la province l’a élu pour mener son programme. Dans les présentes circonstances, il serait peut-être sage d’adopter un ton plus conciliant.
Mais bon, c’est peut-être l’euphorie de la victoire qui inspire Blaine Higgs à parler en conquérant? Surtout que cette victoire fut bloquée pendant six semaines par Brian Gallant.
Parlant de Gallant, qui n’a jamais fait de la politique aussi différemment que dans sa défaite électorale, il semble vouloir trancher avec la tradition et demeurer chef du parti. La réponse devra encore attendre (Acadie Nouvelle). Avec la possibilité de nouvelles élections dans peu de temps, une course à la chefferie maintenant pourrait être désastreuse.
Quant au cabinet Higgs, les questions abondent (Radio-Canada). Des trois députés bilingues du caucus conservateur (Robert Gauvin, Dominic Cardy et Glen Savoie) deux ont reçu un ministère: Gauvin le tourisme, le patrimoine et la culture et Dominic Cardy l’éducation. Gauvin servira aussi comme vice-premier ministre: il décrit son siège comme représentant le tiers de la population de la province (Acadie Nouvelle). Bref, grosse commande, pour un gars qui vient de faire ses débuts en politique!
En ce qui nous concerne, Trevor Holder a reçu le ministère de l’éducation postsecondaire, de la formation et du travail, après avoir occupé le rôle de critique de l’opposition au cours des dernières années. Bien qu’il soit unilingue anglophone, il peut compter sur une solide équipe d’adjoints bilingues. Et notre situation n’est pas unique; ce n’est pas même la plus bizarre. Le ministre des Finances est un ancien animateur de radio, après tout (Snapd). On se doute que M. Higgs, lui-même ancien ministre des Finances, va lui respirer dans le cou un peu.
Bref, elle est bel et bien ouverte, la période des questions!
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.