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Secrets de Polichinelle
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Connaissez-vous Polichinelle?
C’était un personnage de la Commedia dell’arte (Pulcinella), bossu par devant et par-derrière, vif d’esprit et débrouillard, mais qui garde fort mal les secrets qui lui sont confiés. C’est de là qu’est née l’expression «secret de polichinelle», qui se réfère à une information qu’à peu près tout le monde connaît déjà, mais qui n’a pas été révélée officiellement par son détenteur «légitime». Des secrets mal gardés, quoi; des «dis pas à personne que je t’ai dit ça, mais…» Polichinelle est donc un ruine-surprise, un bon vieux gossipeux, comme on les aime.
Et le budget provincial est, à bien des égards, un secret de polichinelle. On sait déjà à quoi s’attendre, on sait que la santé et les routes recevront la majorité des fonds; la trame de fond varie peu d’année en année, si même elle varie. N’empêche qu’à l’aube du déclenchement d’élections, on a parfois droit à de véritables surprises. Bonnes, mauvaises, qu’importe : on ne les voit pas venir.
Or cette année, pas grand chose à se mettre sous la dent de ce côté. Tout le monde a reçu son lot, un peu plus (ou un peu moins, dans notre cas) mais évidemment jamais assez. On avait pourtant l’impression que ce genre de prudence fiscale serait difficile à maintenir pour la bande de David Alward, mais en fait il aurait été encore plus hasardeux de la laisser de côté après quatre années de pseudo-rattrapage économique, en route vers le déficit zéro. Ben, à 391 millions $ près.
Le ministre des Finances prédit un retour à l’équilibre budgétaire en 2017-2018 (L'Acadie Nouvelle), grâce à la venue de nouvelles sources de revenus dans quelques domaines-clés… 2017… qu’est-ce qui doit arriver au N-B en 2017 encore? Ah oui! La m’lasse de l’Ouest!
On estime même pouvoir réaliser un surplus de 119 millions $ d’ici trois ans, si Alward en venait à conserver le pouvoir. Peux-tu croire? Un surplus!
J’écoutais l’analyse budgétaire de Richard Saillant (décidément trop smart pour être vice-recteur, le type), désormais directeur de l’Institut canadien de recherche en politiques et administration publique (ICRPAP), à l’émission Le Réveil du 5 février (Radio-Canada). M. Saillant disait que, malgré le fait que les Progressistes-conservateurs disaient ne pas vouloir présenter un budget électoraliste (c’est-à-dire rempli de bonbons, pour gagner des votes), il a tout de même proposé un budget électoral. Le gouvernement Alward fait donc le pari que l’électorat aspire à voir une gestion responsable des fonds publics, la réduction des dépenses, et un retour prochain au déficit zéro.
Le rêve, toi. «Moi, quand je serai grand, j’m’habillerai en brun»…
Alward fait donc le pari que la population sera raisonnable – et VOUDRA l’être. Et, il me peine de l’admettre, c’est un pari sensé : la déraison est en tout et partout, injustifiable. À n’importe quelle demande (jugée) frivole, on peut opposer un «voyons, il faut être raisonnable». Le tout, appuyé sur des chiffres franchement déprimants qui soutiennent l’argument de la crise financière. Ça va être un discours qui parlera plus fort, peut-être, aux citoyens plus âgés, qui ont déjà connu l’une ou l’autre forme de crise économique ou sociale réglée à grands coups de diktats et qui, en somme, doivent voir d’un bon œil la gestion «molasse» du gouvernement actuel, du moins en fait de finances. Ces mêmes citoyens qui seront, comme à leur habitude, fidèles au poste le jour du scrutin. Difficile de ne pas l’être quand on les y transporte pratiquement, et ça aucun parti n’y échappe.
Alors, Saillant a bien su déceler le message caché derrière ce budget sans éclat : faire confiance au PiCé, c’est s’assurer d’une gestion responsable des finances et d’objectifs clairs (bien que fréquemment révisés, il faut le dire) quant au déficit et à la dette provinciale.
Comme si le but de réduire la dette n’était pas de se donner la capacité d’emprunter plus. Et on relance le manège! En voilà un autre, un secret de polichinelle…
Donc, pour revenir sur ce sujet, je voulais en venir à parler des raisons pour lesquelles la FÉÉCUM, contrairement à son habitude, n’a pas envoyé de représentant à Fredericton pour le dévoilement du budget. La première, et la plus évidente, est que ça n’a rien donné d’y assister depuis longtemps. Si le gouvernement a un investissement ou une réforme en éducation postsecondaire dans le collimateur, on serait au courant des développements longtemps avant le dépôt du budget. Secret de polichinelle. Ensuite, et partiellement en raison du fonctionnement habituel de l’exercice budgétaire, c’est généralement une expérience humiliante que de se faire inviter au dépôt officiel d’un budget où on ne compte rien vous accorder, ou du moins rien de mieux que le statu quo. Certainement, à la lumière des grèves récentes à UNB et Mount Allison, auxquelles s’ajoute les fortes hausses des droits de scolarité à STU, ainsi qu’à l’UdeM où les étudiants internationaux paient 1000$ de plus cette année, il y aurait lieu de se pencher sur la question du financement des universités.
Or, il n’en est rien. Alors, je vous le demande, on irait faire quoi à Fredericton?
Le temps de faire des demandes est passé depuis longtemps; proposer des investissements le jour du budget signifie, premièrement, noyer ses propres besoins dans la mer des revendications des autres, et deuxièmement, demander qu’on délie les cordons d’une bourse que l’on vient de sceller pour douze mois. De l’inutile au sens le plus propre du terme. Ce n’est pas dire qu’il faille abandonner pour autant.
Absolument pas, sauf que les voies officielles, clairement, ne fonctionnent pas pour les étudiants. Et pourquoi, demandera-t-on?
Postsecondaire, mon cher Watson : ils n’ont pas une cenne.
Cela semble l’évidence même pour qui aurait justement l’unique motivation de se présenter au dépôt du budget pour demander des investissements. Toutefois, l’affaire est plus complexe; même si on se plaint que les gouvernements sont de plus en plus gérés comme des entreprises privées, la tendance ne date pas d’hier, et chaque investissement est pensé en terme de retour. Remarquez que le gouvernement ne «donne» jamais de fonds; il les «investit».
Et quel serait le retour sur l’investissement si la province décidait d’améliorer le financement de ses universités? Ce retour se définit mal en chiffres, malheureusement; il se décrit en potentiel économique, en apport intellectuel, en progression sociale, mais pas en dollars. Et l’excuse de dire que la province investirait dans ses futurs contribuables touche rarement la cible : ils deviendraient des contribuables de toute façon, et bien peu significatifs d’ailleurs en comparaison aux corporations et aux multinationales qu’on tente d’attirer ici à grands coups de crédits d’impôt et autres incitatifs fiscaux..
Le N-B a depuis des années le taux de taxation corporative le plus bas dans les Maritimes, et l’un des plus bas au Canada (KPMG) et qu’est-ce que ça nous a rapporté? On donne aux multinationales l’occasion de venir maximiser leurs profits (pour un minimum d’investissement) au N-B et, à la lumière des ratés récents d’Investir N-B, ça ne suffit pas encore.
Va falloir qu’on se fende en huit avant qu’on nous regarde deux fois, semble-t-il.
En attendant, les coffres de la province renoncent à des millions de dollars chaque année, au nom de l’attractivité du N-B pour qui voudrait y conduire de affaires. Notre province est affamée, et se coupe les vivres.
Pour quelques misérables votes qui permettront, peut-être, de demeurer encore quatre années à la barre d’un bateau échoué depuis belle lurette.
Alors voilà pourquoi on n’est pas allés à Fredericton. On y a aucun pouvoir, aucune écoute, et on ne va certainement pas se faire les pions du gouvernement en allant se planter comme des pages en soutien tacite à l’exercice financier annuel d’un gouvernement qui relègue les étudiants au rang de citoyens de seconde classe, et l’éducation en général au rang d’obligation et non pas de mission.
Oui mais, me direz-vous peut-être, le budget ne prévoit il pas des investissements dans les écoles? Certes, mais qu’on se le tienne pour dit : les investissements dans les écoles annoncés hier n’ont pas le choix d’être faits : ces infrastructures sont actuellement toutes soit surpeuplées, ou en décrépitude. Asbestos et compagnie. Et un investissement dans les écoles, n’est pas un investissement dans le processus éducatif. On éduque des gens et pas des murs. Demeure qu’une école, c’est plus facile à voir que l’éducation. Plus concret.
Alors voilà pourquoi la FÉÉCUM a snobé Fredericton cette année. Et puis en ces temps difficiles, nous non plus, on a pas d’argent à dépenser pour des voyages inutiles. Notre message est axé sur des gens, sur leur potentiel et sur leurs besoins, et malheureusement Fredericton y fait la sourde oreille.
Mais quand les chiffres parlent, le monde écoute.