Notre blogue
Payez au prochain
- Détails
par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Je lisais dernièrement un billet d’un type que vous connaissez peut-être, qui se nomme Alex Usher. Je vous résume sa vocation si vous ignorez qui il est : il cherche à faire tomber à peu près tous les aspects de l’argumentaire étudiant, et particulièrement en ce qui a trait à l’augmentation du coût des études, des hausses salariales injustifiées des administrateurs, etc. Le tout se fait à grand coup de statistiques, stérilement interprétées. L’ancien président de CASA est actuellement président de Higher Education Strategy Associates (HESA), une firme de consultants en éducation à orientation plutôt conservatrice. Le genre de monde qu’un ministre engage quand il veut faire parler ses chiffres.
Quoi qu’il en soit, Usher tient sur ce site un blogue quotidien qui regorge d’information intéressante, interprétée à une sauce qui passe un peu croche à mon goût. Disons que son raisonnement repose un peu trop sur les statistiques, au dépens de la réalité vécue. De la viande à politiciens, si vous voulez. Néanmoins, si vous cherchez des chiffres sur l’éducation postsecondaire au Canada, ça demeure une excellente source.
On s’entend, tant que vous vous en tenez aux chiffres.
Alors je lisais son blogue du 4 février, qui porte sur les salaires des présidents/recteurs d’universités canadiennes, en s’attaquant au «mythe» voulant que leurs salaires soient en hausse faramineuse (HESA). Il commence par nous montrer qu’entre 2006 et 2011, dans 48 universités canadiennes, le salaire moyen des présidents/recteurs est passé de 267 015$ à 332 496$. Moyen, je dis bien : on parle quand même d’une masse salariale totale de 16 millions $ répartie entre 48 personnes. Y’en a des élevés et y’en a des plus élevés, et le milieu se trouve alentour de 330 000$. Mettons que je ne m’attends pas à ce qu’on leur démarre un téléthon.
À 42 000$, soit le salaire moyen d’un récent diplômé, ce même groupe aurait une masse salariale de 2 millions $. Petite différence.
Toujours est-il qu’il en vient à déterminer que la hausse salariale moyenne, d’année en année, pour les présidents/recteurs, se chiffre à environ 5% (4,7% pour être exact), alors que celle des professeurs, en comparaison, était d’un peu plus de 3% (3,1%). Par contre, lorsqu’il sépare son échantillon en présidents/recteurs récents d’une part, et d’autre part ceux en poste tout au long de la période étudiée, Usher nous dit que ce second groupe a vu son salaire augmenter au même rythme que ceux des professeurs, soit de 3,1% annuellement en moyenne.
Et qu’est-ce que cela nous révèle?
Que la variation de 2% (quand même substantielle) entre la moyenne des augmentation du groupe complet versus celui du groupe des recteurs à plus long terme relève entièrement des ententes salariales de ceux qui signent un premier contrat avec leur institution.
C’est-à-dire que l’écart salarial entre un recteur sortant et un recteur entrant en fonction est généralement assez grand pour faire pencher la balance. Leur salaire peut augmenter de plus de 10% (ce fut le cas notamment à Calgary, Western, Algoma et NSCAD entre 2006 et 2011). Mentionnons qu’il peut aussi varier à la baisse (comme à Dalhousie, UBC, Simon Fraser et Saint Mary’s, pour en nommer quelques-uns) et comporter une réduction de l’ordre de plus de 3%.
On s’entend que dans de grandes universités comme UBC et SFU, ou même DAL, le haut de l’échelle salariale est plutôt élevé, et que l’ancienneté y joue un rôle important. Autrement dit, le salaire d’un recteur à ces institutions ne se compare à rien d’autre qu’à lui-même; difficile de justifier un salaire identique à la personne que vous remplacez alors que vous n’avez ni son ancienneté, ni son expérience de l’institution. Dans le cas d’UBC, le salaire du recteur a augmenté de 22% en l’espace de six ans, passant de 434 567$ en 2005 à 528 504$ en 2011 (UBC). Ça vous démontre combien le jeu des moyennes peut être trompeur, et encore mieux pourquoi on serait prêt à accepter une légère baisse salariale en devenant recteur…
Et au même moment, on tente de rationaliser les programmes, de couper des cours et d’éliminer les postes et services jugés non-essentiels. En fait, c’est pour ces raisons précises en bien des cas que l’on consent ces salaires.
Alors l’argument d’Usher – qui n’est pas très clair à la lumière des informations qu’il présente – se tient plus ou moins; il conclut en disant que, bien qu’il soit possible que les salaires présidentiels dans les universités canadiennes soient trop élevés, ils n’augmentent cependant pas de façon significativement plus rapide que ceux du reste du personnel universitaire.
Et croyez-moi, pour qu’Alex Usher en arrive à une conclusion aussi molle, il faut que le statu quo soit difficile à justifier.
Je me demande quelle serait la réaction de ces mêmes présidents si les associations des profs partout au pays demandaient une hausse de 2% l’an prochain? Ou si les étudiants demandaient une réduction des droits de scolarité de 2% par année? Hmmmmm.
Je dirais que 2%, c’est en fait très significatif. Et vous?