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L’Opacité à l’amiable
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Pour le dernier volet de mon triptyque sur la transparence (auquel je me réfère affectueusement comme mon «bay window») j’aimerais soulever une problématique qui n’est certainement pas exclusive à l’Université de Moncton, mais à laquelle l’institution a tout de même recours à l’occasion, soit l’opacité à l’amiable.
Je vous mets en situation : vous demandez une information quelconque, que l’institution ne désire pas révéler au grand jour à moins d’être forcée de le faire (en vertu de la loi, s’entend) mais, pour démontrer sa bonne foi, elle vous promet néanmoins de vous faire parvenir cette information par communication interne. Évidemment, il y a un délai, le temps de rassembler l’information requise, mais pas de quoi s’offusquer. Disons 30 jours, ce qui est le même délai qui s’applique quand vient le temps de répondre à une demande d’accès à l’information.
Sauf que, dans le cas de l’opacité à l’amiable, aucune loi ne régit la pratique. Il en résulte que l’institution peut prendre le temps qu’elle veut pour répondre. En fait, rien ne l’oblige à répondre du tout parce qu’il n’existe souvent pas de trace de la demande que vous avez faite. Et puis, même si cette trace existe, elle n’engage à rien puisqu’elle relève d’une voie non-officielle.
Vous ne pouvez donc pas, disons, porter plainte en invoquant une violation du délai prescrit de réponse.
Vous ne pouvez pas non plus présenter une demande officielle, parce qu’on vous répondra probablement qu’il y a déjà du monde qui travaille là-dessus, et que ça ralentirait le processus. Et puis si jamais l’obtention de cette information est le moindrement urgente pour l’avancement d’un dossier, cela signifie que vous vous imposeriez un mois de délai supplémentaire, au minimum.
Et clairement, si on en est rendu là, c’est que l’affaire traîne déjà depuis un bout de temps. Il faut trouver d’autres recours.
Difficile de sortir dans les médias pour dénoncer la situation, question de mettre de la pression sur l’institution, parce qu’elle ne s’est jamais produite sur papier. Ou alors, elle s’est produite en-dehors des procédures d’usage. D’ailleurs, parce qu’on a généreusement offert de vous faire part de l’information par un processus amical, il serait malvenu de froisser cette amitié.
Alors vous faites quoi?
Hé bien, vous bloguez sur le sujet dans les termes les plus vagues possible. Simple suggestion, évidemment.
Voilà qui clos le dossier pour l’instant. Poursuivons donc sur un sujet entièrement différent et aucunement relié au reste de ce blogue. Une légende fort à propos, qu’on m’a récemment contée. Rien à voir.
A-hum. Donc :
Gentes dames et sieurs distingués, prêtez-moi l’oreille que je vous raconte une fabuleuse légende dont un petit oiseau m’a fait confidence…
Il y a quelques temps, dans une institution quelconque, des informations pour le moins malvenues ont été dévoilées au sujet du départ d’un ancien haut-dirigeant récemment parti à la retraite.
Oh, la populace était fort contrite d’en ouïr les détails, car plusieurs avaient séjourné entre les murs de l’institution, y avaient contribué et se sentaient un tantinet floués d’apprendre la manière dont on avait géré leur contribution pécuniaire. Pire encore, celles et ceux qui n’y avaient pas encore amorcé leur séjour savaient d’emblée qu’ils allaient à leur tout payer ce tribut auquel ils n’avaient jamais donné leur assentiment, ce qu’ils trouvaient inadmissible.
D’ailleurs, qui aurait pu leur en vouloir ? Voyez vous-même la manière de ce départ, qui fut des plus pompeuses et inattendues :
La légende nous permet d’imaginer que cette institution, par un miracle dépassant l’entendement, flottait bien haut au-dessus des masses qu’elle desservait, car afin de lui assurer un atterrissage en douceur dans le monde des humbles mortels, où il devait retourner couler ses vieux jours, le haut-dirigeant avait reçu de l’institution un somptueux parachute doré.
La clientèle de l’institution, de qui on exigeait d’année en année des sommes toujours plus grandes afin d’en assurer le fonctionnement, était fort contrariée lorsqu’elle appris de quelle sombres manipulations était né ce parachute.
Il était en effet indestructible. Et rien ne pouvait semble-t-il être fait pour en réduire la taille, ni pour l’abimer. Il devait se régénérer à perpétuité, même longtemps après que le retraité eut foulé le sol indigne de ses pieds brocardés.
Les bonnes gens d’en-dessous étaient, vous le comprendrez bien, fort déçus d’apprendre cette triste nouvelle. Aussi clamèrent-ils haut et fort qu’ils méritaient d’en savoir plus sur les détails entourant cette maléfique invention.
C’est ainsi qu’un porte-parole se présenta devant le conseil des hauts-sages de l’institution, pour exiger, au nom des clients contrariés, qu’on lui révèle en profondeur les détails de la construction de ce parachute. Le retraité y avait-il contribué financièrement? Ce parachute devait-il grandir à mesure qu’il vieillirait (la légende n’est pas claire sur ce point, mais on imagine que le retraité prendrait du poids d’année en année, en raison de son inactivité)? Ce parachute fabuleux est-il le seul cadeau de départ qu’il ait reçu? Qui a décidé de le lui octroyer? Qui en a dessiné les plans et sous quelles contraintes? Qui a signé le devis envoyé aux ingénieurs? Le conseil des hauts sages était-il informé des développements? A-t-il donné permission de construire le parachute en toute connaissance de cause? A-t-on décidé de construire le parachute avant qu’on découvre que le haut-dirigeant avait usé de magie noire pour tordre les lois de l’institution, qui auraient précipité son départ?
À toutes ces questions, nulle réponse. Mais le porte-parole reçut l’assurance, en présence de tous les hauts-sages de l’institution, qu’il obtiendrait au jour de la prochaine lune l’information qu’il était venu quérir.
Grand malheur cependant : rien n’en fut.
Dépité, le porte-parole retourna en ses pénates et attendit, attendit, se morfondant à l’idée que l’autorité des hauts-sages de l’institution, en laquelle la populace devrait pourtant avoir confiance, étant donné qu’elle remet entre leurs mains savantes sa destinée, n’était qu’une illusion. Quelle solution s’offrait en remède à son malheur? Nulle possibilité d’invoquer les lois de l’institution, car c’était une faveur qu’on lui accordait, sans parapher les lettres d’usage. Il ne pouvait pas plus, d’ailleurs, crier son mécontentement sur la place publique, car alors il se montrerait ingrat envers le conseil des hauts-sages, qui pouvait aussi bien ne plus jamais lui révéler quoi que ce soit par la suite.
Ainsi notre porte-parole demeure dans l’ombre d’un certain parachute doré, attendant contre tout espoir que l’on donne réponse à ses questions. La légende dit qu’il y est demeuré si longtemps que son visage autrefois glabre s’est orné d’une barbe longue et fournie, et qu’il philosophe parfois sur la rectitude des ombellifères…
Certains disent qu’il a peut-être perdu l’esprit. Qui le croirait si tous finissaient par penser qu’il est devenu fou? Peut-être était-ce le pari de l’institution, qui sait?
Et il attend toujours, patiemment…
C’est un petit oiseau qui me l’a dit.