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« Poses pas d’questions, pis t’auras pas d’menteries »
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Beau brin de sagesse gaspésienne, non?
Maintenant, avant de me lancer dans ma diatribe d’usage, précisons qu’il convient de distinguer entre deux types de mensonge : l’un flagrant, par pure invention ou déformation de la vérité, et l’autre plus subtil, par omission ou dissimulation.
En clair, on peut mentir en disant des faussetés, ou en ne disant pas toute la vérité; et c’est ce deuxième type de mensonge dont il est ici question.
Il faut faire un petit brin d’histoire pour comprendre l’état actuel des institutions acadiennes; ça fait cliché mais on doit savoir d’où on est venus pour comprendre où on s’en va. Alors voilà, vers la fin du 19e siècle, après une centaine d’années à manger de la misère en silence, l’Acadie a enfin trouvé sa voix et s’est réveillée. Inspiré par une génération de nouveaux leaders éduqués et imprégnés de l’idéologie nationaliste, cette Acadie se donnait un sens et une forme qui sache coller à la modernité. Elle se donna un drapeau (français), un hymne national (catholique), des emblèmes (frisés), une mascotte (américaine), et une devise («l’union fait la force»), ainsi qu’un programme social et politique axé sur le développement de cette nation aux frontières abstraites, qui restait à rêver.
On avance jusque dans les années 1930, et on en est encore à peu près là. Ça prenait un bon coup de fouet pour retrouver l’élan initial. L’avenir était prometteur, mais il n’attendrait pas qu’on se décide. Et comme l’instrument du pouvoir, à l’époque comme aujourd’hui, est l’argent, on avait beau pouvoir faire penser ce qu’on voulait d’elle-même à l’Acadie, sans argent difficile de la faire réellement progresser
De ce constat, et des nécessités qui en découlent, est née en Acadie une branche d’un organisme «secret» voué à l’avancement des francophones catholiques du Canada, l’Ordre de Jacques Cartier, affectueusement connu sous le nom murmuré à demi-mot de «la Patente». L’une des vocations premières de cette société créée par un groupe de fonctionnaires fédéraux était de contrer l’influence des loges maçonniques et orangistes pour faire avancer la «race francophone catholique». Si on était pour rattraper les Anglais, fallait ben commencer par les imiter.
Je ne suis pas un expert de l’OJC, mais pour l’essentiel – comme dans la plupart des sociétés secrètes – des élites se servaient de l’influence acquise au sein de divers organismes pour aider leurs confrères à obtenir de l’avancement, à gravir rapidement les échelons et parvenir eux-mêmes dans des positions qui leur permettrait de mettre de l’avant – à titre individuel – la vision de l’OJC. Par exemple, Louis J. Robichaud était membre de la Patente, et on sait combien il a travaillé comme premier ministre du N-B pour améliorer les conditions de vie de (entre autres) la minorité acadienne, francophone et catholique. Remarquez, Ti-Louis niait avec véhémence que c’était la Patente qui l’avait fait élire; reste que, sans son aide, il ne se serait peut-être trouvé en position de devenir premier ministre. C’était des années de grand rattrapage dont on récolte encore aujourd’hui les bienfaits (et parfois les frustrations de la majorité anglophone).
Ça vous donne une idée suffisante – et je l’espère relativement juste dans sa simplicité – de ce qu’était l’OJC. En 1965, l’OJC a été dissoute, mais son impact se fait encore sentir de nos jours. Il était le fer de lance d’une stratégie d’infiltration de la machine anglo-canadienne, devenu le lien invisible entre les institutions qu’avait réussi à se donner l’Acadie.
Mais, pour tout ce qu’elle a donné de positif à l’Acadie contemporaine, la Patente a également eu un legs moins prestigieux: la cachoterie. Comprenez qu’à l’époque où les francophones étaient minoritaires en tout et partout sauf dans la crasse et les usines, mieux valait faire ça en silence, si vous en aviez contre l’ordre établi. On voit bien aujourd’hui, soixante ans plus tard, avec l’évolution des valeurs au sein desquelles la transparence occupe désormais un rôle primordial, comment cette philosophie des affaires peut être nocive à l’image d’un organisme ou d’une entreprise.
Et avec le recul de l’influence de l’Église en Acadie, c’est que les gens ont commencé à en poser, des questions, voyez-vous. On gobe de moins en moins la sempiternelle explications des choses qui sont «comme ça parce que c’est comme ça», on veut éventrer les dogmes pour voir s’ils contiennent la moindre parcelle de vérité.
On en donc est là aujourd’hui, et c’est pourquoi les divulgations récentes sur la Fédération des Caisses populaires acadiennes, par exemple, ou sur l’Université de Moncton, ont rapidement viré au scandale et suscité tant de réactions. La confiance aveugle qu’ont vouée les Acadiens à leurs institutions – qui ont, il faut le dire, immensément donné à l’Acadie – prend aujourd’hui l’aspect, je n’irai pas jusqu’à dire de trahison, mais d’une certaine forme d’abus de l’élite envers le petit peuple.
Le climat social est aujourd’hui bien différent de celui qui prévalait à l’heure de la Patente.
En 1965, l’enfant qui arrivait à la maison et qui avait l’immense courage de dire à ses parents que le curé l’avait tripoté se prenait probablement une claque et un «va pas conter ces menteries-là à personne ou t’auras affaire à moi!» bien senti. L’Église menait le bal et il était impensable de remettre en question la rectitude de l’institution, sa connaissance, bien au-delà de celle de ses ouailles, de ce qui était bien et acceptable au nom du bien commun.
Combien de ces jeunes abusés ont le courage, aujourd’hui en tant qu’adultes, de se défaire du fardeau de cette culpabilité qu’on leur a imposé en guise de bâillon, pour lever le voile sur ces abus monstrueux? Et pourquoi? Parce que la société est prête à entendre leur histoire, à croire que l’Église n’était pas au-dessus de toute faute.
Dans le cas des Caisses, ce sont certains membres qui accusent l’institution de manquer de transparence, et qui demandent que soient dévoilés les salaires des cadres et administrateurs du mouvement. Ça se fait chez Desjardins au Québec. Le tout est parti un peu maladroitement d’un projet encore plus maladroitement expliqué de fusionner les Caisses actuelles en une Caisse unique. Soit dit en passant, les Caisses dans vos régions vont rester ouvertes, mais vous aurez plus besoin de faire 250km de route pour aller chercher une nouvelle carte de guichet ou contracter un emprunt à votre caisse, parce que les mêmes services seront offerts partout. Vous irez à la Caisse la plus proche et ce sera fait. Il faut dire, toutefois, que cet imbroglio a braqué les projecteurs sur l’institution acadienne et que les appels à plus de transparence de sa part se multiplient depuis.
Qu’est-ce que ça va changer, au juste, la transparence? Peut-être que certains se posent la question. La vérité est que dans l’immédiat ça ne changera probablement pas grand-chose. Les décisions sont prises, les contrats signés, et il faudra bien vivre avec. Mais, un peu comme au temps ou on stressait de passer les mains sous les vêtements de notre partenaire de peur de devoir aller s’en repentir à la confesse, les décideurs de ce monde réfléchiront deux fois avant d’agir, et surtout, ils réfléchiront aux conséquences des actions projetées.
Le curé, lui aussi, passe au confessionnal. Le vent a tourné. Ce n’est plus un droit, mais un privilège que de trôner au sommet, d’exercer son influence. Ça vient avec son lot de responsabilités.
Qui sait, peut-être que la transparence exposera les vices de certaines procédures, de certains «c’est de même parce que ça a toujours été de même» et que oui, effectivement, des modifications en profondeur seront apportées au fonctionnement des institutions qui ne pourront plus opérer sur le mode de la cachoterie.
Remarquez qu’il serait malvenu de TOUT montrer du fonctionnement des institutions. Si vous êtes d’un autre avis, essayez d’abord de regarder au complet un épisode de la commission Charbonneau. On s’en reparlera après. Bonne sieste.
Pour terminer, parlons du cas de l’Université de Moncton. Vous ne pensiez quand même pas que j’allais l’oublier! Tout ce qui précède s’applique aussi bien ici. Je ne me répèterai donc pas, et me contenterai de dire ceci : quand il est entré en poste, après le départ d’Yvon Fontaine, sur le compte duquel on en apprend depuis des vertes et des pas mûres (mais toutes onéreuses quand même), le recteur Raymond Théberge s’est dit favorable à une gestion plus transparente de l’Université de Moncton. C’est d’ailleurs largement sous sa gouverne qu’ont été divulguées bien des informations gênantes, il faut le noter. Mais pour ce qui est de changer la façon de procéder à l’Université de Moncton, par cachoterie et intimidation et «tu le sauras si je décide que t’as besoin de le savoir», tristement, on ne voit pas le progrès. Rien qu’un coup d’œil à la facture en frais d’avocats des dix dernières années (UMoncton) suffira à vous en convaincre : des conflits internes en voulez-vous en v’là! Et ça, sans parler des procès-verbaux du Conseil des gouverneurs. Y’a plus de détails dans un télégramme que le facteur essoufflé amène à Lucky Luke. Stop.
Et la transparence, ça ne se fait pas n’importe comment non plus.
Plus que de transparence a posteriori, après coup, parce qu’on s’est fait prendre la main dans le sac, parce qu’on s’est trompés et qu’on le sait (peut-être même le savait-on à l’époque?), c’est de transparence proactive dont nous avons grandement besoin venant de nos institutions acadiennes. Plus de raisons pour elles de fonctionner en vase clos, comme autant de tours d’ivoire impénétrables, trônant au-dessus de tout questionnement externe.
Croyez-moi, nous sommes assez intelligents pour vous comprendre. Pas besoin de faire partie de la machine. C’est pas parce que je suis pas assis dans le bain que je comprends pas que l’eau est mouillée. Ne traitez pas la collectivité comme une idiote; vous gagnez à ce qu’elle vous questionne, vous interpelle, qu’elle intervienne, car c’est à travers son implication que passe la croissance de nos institutions.
Et elle aura tort, parfois, la collectivité; et ce sera votre travail de lui démontrer pourquoi. Preuves à l’appui. Pas comme des curés.