Notre blogue
Des fois, faut dire des choses pas Finn
- Détails
par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Si vous suivez régulièrement l’actualité en Acadie, vous lisez forcément l’Acadie Nouvelle. Or paraissait aujourd’hui dans les pages de l’héritière d’Évangéline une lettre d’opinion du vénérable Jean-Guy Finn, qui y ressassait sa bonne vieille salade sur les dépenses excessives du gouvernement (Acadie Nouvelle). Trop de programmes, trop d’infrastructure, trop d’équipement et pas assez de monde, en somme. Du Fox News acadien. Pour vous fournir un peu plus de contexte, M. Finn a travaillé au sein (et pour le compte) du gouvernement provincial, où il a toujours été fervent partisan de la réduction et la rationalisation des dépenses de l’État en général.
Évidemment, il s’est frotté à bien de la résistance venant de la population de la province, qui n’aime pas trop se faire dire qu’il serait dans son meilleur intérêt de changer complètement sa façon de fonctionner. C’est essentiellement ce que suggérait le rapport Finn, déposé en 2008 pour le compte du gouvernement Graham dans le cadre de son utopie d’autosuffisance du N-B. M. Finn y suggérait d’éliminer les cités, villes, villages, communautés rurales, paroisses et DSL, au nombre de quelques centaines, en 12 Districts de services régionaux (DSR), divisés en 53 Entités municipales (EMU).
En gros ce serait comme passer du système impérial au système métrique. La masse ne change pas, seulement la mesure. Inutile de vous dire que ça prend du temps au Nouveau-Brunswick ces affaires-là. Savez-vous combien vous mesurez en centimètres ou combien vous pesez en kilos, vous? Et pourtant, on voyage en kilomètres.
Well, OK, en minutes ; mais bon, vous comprenez. Donc, le rapport Finn a rebroussé ben du poil.
Je vous donne un exemple très banal : comment pensez-vous que l’individu de Cocagne et celui de Saint-Antoine ont réagi à l’idée de se retrouver groupés dans une même EMU? Ils ont de la misère à s’entendre sur ce que constitue une patate de qualité, alors n’allez pas leur demander – imposer – des services reposant sur le principe des intérêts communs. Ou, pire encore, et mes congénères de la Péninsule le comprendront mieux que d’autres, comment faire comprendre à la personne d’Anse-Bleue et celle de Maisonnette, ou de Grande-Anse, ou de Pokesudie qu’elles ont quoi que ce soit en commun? Ça fait pas de ban sang, garçan !
Remarquez, ces «différences» ne sont guère plus que de vieilles chicanes de clocher, et le raisonnement de M. Finn quant au regroupement des municipalités (Rapport Finn, 2008) était, à bien des égards, tout à fait sensé. Sauf qu’il devait composer avec une population qui, justement, est parfois incapable d’un raisonnement sensé quand une réaction viscérale, émotive, et qui ne souffre pas d’explication, s’y oppose. Et c’est ce qui se produit en 2008.
Résultat, le rapport Finn, aussitôt publié, devient un ramasse-poussière.
Car l’élite politique ne peut risquer de froisser sa base, parce que chaque poil rebroussé équivaut, potentiellement, à un vote perdu. Et c’est pour ça que le RÉEL changement politique ou social, ça prend énormément de temps, ou alors une sacrée paire de gonades (terme unisexe, j’ai vérifié). Et celles et ceux qui font étalage de ces précieux appendices alors qu’ils se gonflent le poitrail dans leur bancs du bord de l’opposition, les voient se ratatiner jusqu’à disparaître complètement une fois parvenu au pouvoir.
Et le pouvoir politique est une chose précaire, capricieuse : ça ne prend qu’un coup de gonade mal placé et bon vent !
Mais bon, depuis le dépôt (sur les tablettes) de ce rapport, Finn est revenu périodiquement dans les médias pour commenter sur la lourdeur de l’État, et la lenteur du changement structural au niveau de la gouvernance locale. Mais cette fois, il s’attaque aux finances publiques dans leur ensemble, frappant tous azimuts.
Il trouve en outre problématique l’approche «à chacun son projet, à chacun son programme ! [face auquel] l’effet cumulatif sur les finances publiques constitue alors le moindre des soucis». Et à cela je réponds : «minute, moumoute».
Premièrement, cet argent vient des contribuables et il est logique qu’il y retourne. Et même mon expérience limitée du monde des ONG a su m’apprendre que ces fonds ne sont ni illimités, ni garantis. Il faut quémander, se justifier d’année en année et oui, M. Finn, il y en a des coupures. Sans mentionner qu’une large part de ces sommes provient du fédéral. De plus, les groupes d’intérêt ont justement pour raison d’être de suppléer au travail du gouvernement là où il préfère ne pas se mouiller, pour les raisons citées plus haut, alentour des gonades. Pourquoi abandonnerait-on ces groupes qui ne cadrent pas avec la vision corporative d’un État dont la vision se limite aux colonnes budgétaires ?
Pis, baptême, c’est pas comme si tout le monde en trouvait pour son compte au pis du financement public – en fait d’analogie, on a plus affaire à une chèvre qu’à une vache. Une chèvre picasse, à part de ça. As-tu déjà trait ça, une chèvre picasse ?
Ensuite, il s’en prend au secteur de la santé et de l’éducation, où, supposément, il y aurait «des espaces et équipements publics sous-occupés et sous-utilisés». Ça se passe de commentaires, ou du moins, ça se passe de commentaire dans la région de Moncton, où on est à la veille d’avoir des pupitres superposés. Et allez faire une demande de local à l’Université de Moncton, pour voir combien il y en a sur le campus qui sont sous-utilisés. Demandez à STU, UNB ou Mount A, la réponse sera la même. Quand Finn demande pourquoi on ajoute des programmes dans les universités alors que la population étudiante décline, personne n’a dû lui dire que c’était pour attirer plus d’étudiants, j’imagine. À l’écouter on en serait encore au cours classique qu’il n’y aurait pas de problème. Des avocats, des docteurs pis des prêtres – de quoi on a besoin à part de ça ?
Le système scolaire n’y échappe pas : on a plus d’enseignants et moins d’élèves que vingt ans passé, nous dit Finn, ce qui n’est peut-être pas faux. Cependant, il semble ignorer que la classe – et surtout la COMPOSITION de la classe – a grandement changé en vingt ans, largement à cause de l’aventure néo-brunswickoise de l’inclusion scolaire. Avant de sous-entendre qu’on devrait couper des postes d’enseignement, j’aimerais lui suggérer de passer une journée en salle de classe. Quarante, cinquante élèves par classe, pas sûr que ça fonctionnerait comme au temps des nonnes. Des classes réduites, en raison des difficultés liées à l’enseignement différencié qu’on impose aux professeurs, ça veut dire plus de profs. Et la discipline est une affaire un tantinet plus subtile de nos jours. T’as juste besoin de regarder un élève aujourd’hui pis t’es déjà dans le trouble ; va donc gérer une classe avec ça, toi. On est plus au temps de la strap.
Il a en plus le culot de dénoncer l’embauche de 2000 assistant(e)s en enseignement comme une dépense inutile. C’est parfaitement digne de qui croit que la journée d’un enseignant commence à la cloche du matin et finit à la cloche du soir, et qu’ils vont tous s’éparer sur la plage de juin à septembre. Pas d’overtime, non plus. Si vraiment il y a eu 2000 assistant(e)s embauchés, la réalité nous démontre que c’est encore insuffisant.
Bien entendu, on pourrait retourner en arrière et placer nos jeunes à besoin spéciaux en institution, où ils ne dérangent pas les finances publiques. Est-ce que c’est ça la solution, M. Finn ?
Il a enfin la face de dire que les coupures dans la haute fonction publique n’aideront pas les choses, parce que, et je prends la peine de le citer : « de telles mesures risquent de nuire considérablement au pouvoir d’attraction et de rétention de la fonction publique, surtout en ce qui touche les cadres supérieurs. »
Le discours cadre bien avec l’idéologie politique du moment. C’est pourtant pas de gens avec de l’argent qu’on a besoin, c’est de gens avec des idées et un dévouement à la cause qui dépasse l’attente du chèque de paye.
Il dit en conclusion que nous devons ajuster l’appareil public afin qu’il reflète mieux notre réalité démographique, car ces services ont un coût per capita plus haut que la moyenne canadienne à l’heure actuelle. Il faut donc un reflet pertinent à une population vieillissante, dispersée, peu instruite et pauvre, hmmmm.
C’est sûr que des coupures en santé, en infrastructures, en éducation et auprès du financement des groupes d’intérêt constitue la voie à suivre. Bien sûr, en truffant la fonction publique de stars du secteur privé au passage, parce qu’ils SAVENT COMMENT FAIRE DE L’ARGENT EN FOURRANT LE PEUPLE. Je sais que le sarcasme se décèle mal à l’écrit, mais je fais confiance à mon lectorat. Alors vous m’excuserez si je dis des choses pas Finn.
J’espère, parce que j’arrêterai pas.