Notre blogue
Le monde a (bien?) changé
- Détails
par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
*facepalm* Je vous avertis : ce post est digne d’un vieux grincheux.
D’emblée passablement abattu face au constat de mon acte volontaire de lecture du Telegraph-Journal, je tombai sur un article en ses pages qui ne fit que décupler ma déconfiture. Voyez vous-même le titre : « ‘Sugar babies’ seek ‘sugar daddies’ to foot tuition bills (Telegraph-Journal) ».
Well de well.
Pardonnez mon ignorance (ou mon ingénue naïveté), mais je vous avoue que j’ai été surpris. Oh, pas par l’existence du site dont il est question dans l’article, www.seekingarrangement.com, parce qu’il n’existe tout simplement plus rien sur le web qui ait encore potentiellement la capacité de surprendre. Dégoûter, désarçonner, révolter, oui, sans problème; mais surprendre, RÉELLEMENT surprendre?
Avouez.
C’est plutôt par l’intérêt croissant qu’y accordent les étudiantes et étudiants d’au moins deux universités du N-B, soit UNB et STU, que j’ai été un peu étonné. En effet, il semble que ces deux universités se classent dans le top 20 des clients universitaires du site, avec, respectivement, 49 et 48 nouvelles inscriptions en 2013. Je dis bien NOUVELLES; de plus, on ne peut croire que ce nombre représente le véritable total car les inscriptions comptabilisées sont complétées par l’entremise d’un courriel universitaire. Pas moyen de savoir si la personne qui s’inscrit avec son adresse personnelle (gmail, hotmail, ou que sais-je), est ou non en milieu d’étude universitaire.
On peut conséquemment croire que le chiffre noir est plus élevé. Le chiffre noir, pour les néophytes, est la part d’une statistique absente des sondages parce que non-recueillie. Par exemple, les statistiques sur la santé mentale se basent sur les informations de gens qui vont chercher une forme de traitement ou qui répondent volontairement à un sondage. Celles et ceux qui n’osent pas parler de leur condition ou qui choisissent d’ignorer le problème, sont exclus des statistiques. Ça ne veut pas dire qu’ils ne se classent pas dans l’une ou l’autre des catégories pour autant.
Alors, ça me porte à réfléchir : qu’est-ce que cela nous dit, que de plus en plus d’étudiantes (parce qu’un seul regard sur la section «bourses» du site (Lien) démontre bien que ce sont les jeunes étudiantes qui forment la «clientèle»-cible) mais aussi d’étudiants optent plus ou moins pour se prostituer dans l’espoir de payer leur éducation postsecondaire.
Précisons : le site ne fait pas la promotion de l’échange d’argent pour des relations sexuelles (i.e. de la prostitution). Mais baptême, on est pas des tartes : y va arriver quoi, tu penses??? Ça va où, un bonbon? On fait quoi avec d’habitude?
Si ça ne vous tente pas de réfléchir, sautez directement à la fin avant de vous lancer sur le site, je vous en conjure. Allez là où je «reviens à mes moutons». Si ça vous dis encore de vous inscrire ensuite, hé bien, bon vent.
OK? Pour le reste, on poursuit :
Alors, le type ou la dame qui «investit» en moyenne 3000$ par mois dans son bébé-bonbon s’attend certainement à plus que des sourires et des beaux mercis, à plus qu’une photo (habillée) dans une carte faite à la main. On ne parle pas d’Oxfam ici, quand même.
Le porte-parole de l’entreprise web nous rassure à cet égard, avec des perles de sagesse comme : «We don’t market to those who are married, but it’s not illegal to cheat on your wife», ou encore «This is a dating website… Sex is aspired to but not expected». Tu sais, si ça arrive, ça arrive, nous on n’est aucunement responsable…
Les parents-bonbon paient 59$ par mois pour s’inscrire au service, en plus des sommes et cadeaux qu’ils ou elles remettent à leur bébé-bonbon. Étudiantes et étudiants, pour leur part, ont accès gratuitement au service.
Mais dans quoi ils s’embarquent? Et pourquoi???
Il faut reconnaître que la pop culture a énormément évolué – j’utilise le mot pour son sens scientifique et pas moral, s’entend – et a poussé la jeunesse à idolâtrer non plus des gens avec des idées mais avec de l’argent. Et qui plus est, avec un style de vie qui glorifie le fait qu’ils ont tellement d’argent qu’il faut la dépenser sur des bébelles, services et autres faux appendices qui démontrent, le plus ostensiblement possible, ce fait. Il faut qu’il en mouille, de l’argent, sinon, ben pourquoi on voudrait en faire? Flash ton cash!
C’est devenu ça, la définition du succès, pour une génération entière. Et ça me fait pleurer en dedans. Je dis bien «en dedans», car pour ma part je viens de la génération qui ferme sa gueule et qui endure, qui fait avec ce qu’elle a et qui vit avec les conséquences de ses actions. Les derniers «X» ou les premiers «Y»; on est encore loin des valeurs de la iGeneration, à laquelle mon fils, malheureusement, appartient. Et je suppose qu’en quelque part, faire avec ce qu’on a sans aspirer à plus, c’est pas bien mieux que de vouloir rouler sur l’or à n’importe quel prix.
Et là, j’en viens à ce prix : ce style de vie s’achète aujourd’hui avec son corps. Qu’on s’entende bien : je ne qualifie pas les étudiantes et étudiants qui font le choix de se trouver un parent-bonbon de putes. En fait, ils et elles seraient un peu fous de refuser cet argent, parce qu’il ne viendra pas d’ailleurs, il ne tombera pas du ciel, et l’alternative est de sortir de l’université avec une dette écrasante. Et la chose autrefois honorable, travailler pour rembourser ses dettes, est aujourd’hui équivalente à la peste noire. De plus en plus de temps d’études précieux doit être consacré au travail, à de simples fins de joindre les deux bouts, et ce pour un nombre grandissant d’étudiants autonomes. L’autonomie devient donc un peu désespérante, ce n’est plus forcément un badge d’honneur. La dette a, il faut dire, gonflé considérablement depuis les années 1980, ce qui contribue certainement au désespoir. La dette comme les coûts directs et indirects des études. C’est lourd.
Reste qu’en entrant à l’Université, beaucoup s’imaginent encore qu’ils en sortiront pour tomber directement dans un emploi confortable, par trop forçant, et un salaire dans les six chiffres au bout de quelques années (Macleans). Pour cela, il faudrait que l’on ait plus de PDG que de compagnies, au Canada… on apprend pourtant la pensée critique à l’Université, non? Le réveil est brutal pour ceux-là, et je suppose. Et devant la perspective d’une vie professionnelle qui ne sera pas bien différente de sa vie étudiante (tu va encore en manger pour un bout, du Kraft Dinner, je te le garantis; personnellement, je conseille la rotation avec le Mr Noodle, ça change le mal de place), il est compréhensible que l’alternative parent-bonbon paraisse attrayante. Ça a pas l’air forçant en tout cas.
Certains, à n’en pas douter, n’entrevoient aucun autre moyen de payer leurs études. C’est triste et c’est vrai. Leur famille ne peut les aider financièrement, leurs perspectives d’emploi sont minimes, et leur dette d’étude sera écrasante quant viendra le temps de la rembourser. Les factures s’accumulent et le prêt ne suffit pas toujours. Ce n’est peut-être pas de gaieté de cœur que ceux-là s’inscrivent au service.
Mais, et je m’excuse pour ceux qui cela pourrait offusquer, il y en a d’autres qui sont tout simplement trop paresseux pour se tailler un chemin dans la vie par eux-mêmes, pour faire des sacrifices, pour monter l’échelle un barreau à la fois. S’ils ne commencent pas directement en haut, ils menaceront de se lancer en bas jusqu’à ce qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent. Ces gens ne valorisent pas le travail, ne valorisent pas leurs propres capacités, ils ne considèrent utile la notion de «travail» que pour la rémunération : et là encore, un minimum de travail pour un maximum de rémunération.
C’est clair que je vieillis.
Mais d’où cela leur vient-il? Regardons leurs parents, oui, mais aussi – et surtout – les jouets de leur enfance, regardons les émissions jeunesse qu’ils ont passé des heures à visionner, regardons les jeux vidéos de leur adolescence, regardons la musique, les pub de vêtements, de téléphone portable, etc. Qu’est-ce que ça leur a montré? C’est quoi la constante?
On leur a montré des RÉSULTATS, et rarement des processus.
Je tire un exemple de mon bagage personnel. Enfant, j’étais passionné de LEGO : je me souviens, quand j’ai eu 12 ans et que je voyais bien que c’était l’âge limite sur les boîtes, que ça m’a rendu sincèrement triste. J’avoue que j’ai testé la loi et joué un peu plus longtemps, sans séquelles. OK, bon : quand je voyais un bâtiment sur le devant de la boîte, j’ouvrais la boîte et qu’est-ce que je trouvais? 120 morceaux dans UN sac, et UN livre d’instructions. Des petits, des plus petits et des minuscules. De l’OUVRAGE pour arriver à reproduire l’image sur la boîte, et ultimement, jouer avec, le démolir, et faire autre chose complètement; évidemment, l’option était là.
Passez devant un rayon de LEGO aujourd’hui. La même bâtisse a comme 20 morceaux, pour la plupart de gros morceaux de plastique tordus dans des formes impossibles à reproduire. Et avec lequel on ne peut pratiquement rien bâtir d’autre que ÇA. Un morceau qui, 20 ans passé, était un agglomérat ésotérique de 30 ou 40 pièces. Tu commençais au début et ça ne faisait pas de sens jusqu’à ce que tu arrives à la fin; comme la vie. Et en plus, en ouvrant la boîte, on retrouve les morceaux regroupés dans des sacs individuels, chacun pour un des items à construire. Et chacun avec son livre propre d’instructions. Ça me déprime. Et les LEGO c’est encore pas mal de travail si on compare à d’autres bébelles.
On ne va plus grandir pour se retrouver avec un marteau dans les mains, dans une usine, à varger sur de la tôle pendant 25 ans. On a dépassé ça, même dans notre petite province arriérée (preuve : si cette vie vous intéresse – ce qui est parfaitement noble d’ailleurs – les chances sont que vous devrez aller dans l’Ouest), et aujourd’hui on peut aspirer à n’importe quelle carrière. En suivant nos intérêts, en jouant avec nos forces et en « harsant » rien qu’un peu, on peut se tailler une place dans tous les domaines. Une place n’équivaut pas à un salaire à six chiffres, par contre, que ce soit clair. Se tailler une place, il y en a qui le font, et qui le font bien. Pourquoi? Parce qu’ils ne le font pas systématiquement pour le résultat, mais par amour du processus.
Pas pour le chèque : pour le travail. Pas (toujours) pour ce que ça nous donne, mais pour ce qu’on y apporte. Parce que ces personnes aiment ce qu’elles font. Clin d’œil ici à ma cousine qui vient de lancer sa propre entreprise (Élan communication : http://www.elancommunication.ca), et dans la Péninsule par-dessus le marché. Vous auriez plus de chance de trouver une photo de Cayouche rasé! Excusez ma plogue éhontée, mais ça vous démontre que le succès est possible, et qu’il n’a certainement pas une seule forme. Pour ma part, je n’ai pas son courage pour me lancer ainsi dans le vide, mais – je vous le garantis – j’aime ce que je fais. Le salaire, c’est juste une partie du budget. Et encore, je m’en tire mieux que d’autres.
Un budget? Pour l’amour, je ne vieillis pas, je meurs!
Je reviens, pour la bonne mesure, à mes moutons : si l’envie vous prenait d’aller parcourir ce site, qui me semble répugnant mais pour lequel je peux néanmoins comprendre l’engouement, je vous invite à vous poser sérieusement quelques questions avant d’aller plus loin : je suis prêt(e) à quoi pour me sortir de mes études sans dette? Pour un train de vie privilégié? Qu’est-ce que je veux vraiment dans la vie?
Si c’est vous faire vivre par quelqu’un d’autre en échange de… de quoi, au juste? En tout cas, si ça vous convient, n’hésitez pas une seconde. Je ne vous juge pas et c’est peut-être moi l’imbécile, dans le fond. Je pourrais encore rendre une madame ben heureuse, après tout.
Ce n’est simplement pas pour moi.
Mais je vous l’assure : même si le chemin n’est pas large, ou mal débroussaillé, on y est toujours plus à l’aise quand on le taille soi-même. Parce qu’on ne sait peut-être pas où il aboutira, mais on sait qu’on mérite pleinement de s’y trouver.
Eeeeeeet je fais la morale, maintenant. Le trépas n’est pas loin!