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Les étudiants internationaux : des boucs émissaires?
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Je ne vous cache pas ma surprise, la semaine dernière, d’apprendre sur les ondes de Radio-Canada la formation d’un comité conjoint entre l’UdeM et les propriétaires de logements du quartier Sunny Brae, dont l’objectif était de trouver une solution aux dommages causés par les étudiants dans les logements hors-campus.
J’ai été encore plus surpris d’entendre que l’UdeM ne semble pas chercher à défendre les étudiants contre cette attaque des propriétaires. Au contraire, on forme un comité, signe qu’on considère la chose sérieuse (Radio-Canada).
Imaginez les comités à l’UdeM comme des champignons qui poussent sur les problèmes. S’il y a un comité, il y a un problème, et vice-versa. Et il y en a des comités! Il nous faudrait créer un comité pour réduire le nombre de comités.
Mais je m’égare : un porte-parole de l’association des propriétaires rapporte que 5 à 7 pour cent des logements sont gravement endommagés par les locataires, occasionnant des coûts de nettoyage allant jusqu’à 7000$ en certains cas. Il faut toutefois approcher la question avec tact du côté de l’Université.
Par exemple, si les propriétaires lient le problème aux étudiants, au sens large, il n’y aurait en théorie aucune logique à ce que la vice-rectrice aux affaires étudiantes et internationales, Marie-Linda Lord, promette « d’agir pour sensibiliser les étudiants internationaux », selon les propos du journaliste Michel Nogue.
Ça, c’est un problème. C’est l’UdeM qui focalise.
Soyons clairs : si les propriétaires étaient réellement disposés à écarter les locataires étudiants, ce serait probablement déjà fait. Évidemment, ce serait très délicat s’il fallait viser les étudiants internationaux, car on les aurait rapidement accusé de racisme. D’ailleurs, si leur interdit s’étendait à la population étudiante en entier, on les accuserait de discrimination. Et dans l’un et l’autre cas, on aurait parfaitement raison de le faire.
Je doute cependant que ce soit ce risque qui les retienne. De deux choses l’une : soit les propriétaires n’ont pas les moyens de se passer de la clientèle étudiante (et dans les environs du campus de l’UdeM on s’imagine mal comment ils rempliraient leurs logements sans les étudiants), ou alors le problème dépasse la population étudiante et on les a choisis comme des boucs émissaires car il existe une institution qui les relie et les représente.
Quand Thierry LeBouthillier, le porte-parole du groupe des propriétaires, dit que ce qu’ils gagnent avec ce comité « c’est une transparence […] que les étudiants ne peuvent plus se cacher derrière le mur universitaire, pour dire que la forteresse du système les protège », à quoi fait-il allusion? Y a-t-il eu des étudiants vandales qui se sont défendus en se cachant derrière l’immunité universitaire? Ça existe?
Et tant qu’à citer M. LeBouthillier, il nous révèle dans le même entretien que les images qu’il dévoile au journaliste Michel Nogue représentent « l’état dans lequel on retrouve les appartements en général ». Doit-on présumer alors que lorsque ces étudiants en ont pris possession on aurait pu y manger par terre?
La question se pose également en sens inverse. Je suis prêt à accepter le fait que certains étudiants rendent leur logement dans un état pire que celui où ils en ont pris possession; en outre cela est vrai pour n’importe quel autre type de locataire. Mais combien d’étudiants sont aux prises avec des problèmes d’infestation, de moisissure, de bris, de plomberie, de dommages causés par l’eau, de sécurité, d’entretien? Du reste, ces problèmes non plus ne touchent pas uniquement les étudiants.
D’ailleurs, si 5 à 7 pour cent des logements sont fortement endommagés, et même si la totalité de ces logements étaient occupés – et rien ne démontre que ce soit le cas, remarquez – par des étudiants internationaux, cela veut quand même dire qu’on va faire payer entre 93 et 95% de cette population pour les torts d’une minorité.
Il y a donc à prendre et à laisser dans ce dossier, de part et d’autre du débat. En somme, personne n’est parfait et nul ne devrait être en position de jouer les vierges offensées.
Par ailleurs, contrairement à ce qui a été sous-entendu sur Twitter, il y a bel et bien une représentante étudiante siégeant à ce comité, soit la présidente de l’AÉÉIUM Diane Gnonlonfin. Elle avait dû rater la dernière réunion.
Mais quand les propriétaires reçoivent l’appui (tacite) de l’UdeM pour mener une initiative qui peut ternir la réputation des étudiants internationaux (je répète que c’est la vice-rectrice qui dirige l’attention sur ce groupe d’étudiants et non les propriétaires, ou du moins pas publiquement) et leur compliquer la tâche de trouver un loyer plus abordable que ce que leur propose l’UdeM, on est en droit de se demander quels intérêts sont servis. Va-t-on réellement aider la majorité, ceux et celles qui prennent adéquatement soin de leur logement?
Car s’amener à Moncton de l’étranger, c’est déjà assez complexe sans qu’une réputation (je l’espère) non-méritée vous attende à votre arrivée pour compliquer chaque étape de votre processus d’intégration. On ne se le cachera pas, l’Acadie est un milieu accueillant… pour les visiteurs. Les comportements et jugements racistes sont encore un problème auxquels doivent faire face les membres des minorités visibles dans la vie de tous les jours. Pourquoi choisir de nourrir ces perceptions en dirigeant le blâme sur une population déjà aux prises avec des difficultés quand vient le temps de trouver un logement?
Et le logement n’est pas la seule chose qui soit plus difficile d’accès, à Moncton, pour ces gens. On devrait penser à ce genre de chose avant de faire des sorties médiatiques. Les intentions de la vice-rectrice, à n’en pas douter, sont excellentes : les répercussions potentielles de ses propos, par contre, pourraient avoir l’effet contraire.