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Non-ingérence ou indifférence?
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par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Sous les appels répétés des politiciens de l’opposition qui réclament que le gouvernement intervienne pour régler les problèmes causés par le sous-financement des institutions d’enseignement postsecondaire, rendus douloureusement évidents par la course à la grève qui semble bien lancée dans les universités de la province, on est en droit de se demander si, d’une part, le gouvernement en fait effectivement assez, et deuxièmement si son nez a ou non sa place dans nos affaires.
Tout dépendant à qui vous poserez la question, la réponse peut varier.
La réaction instinctive, compréhensible, est d’invoquer la source du financement des universités, soit les fonds publics, pour justifier le droit à l’intervention du gouvernement dans l’éducation postsecondaire. Je veux bien.
Mais malgré le fait qu’on ait au N-B un Ministre de l’éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail (ou «MEPSFT» : comme un bruit de pet dans un fauteuil mou), ses compétences s’arrêtent à la gestion des finances et l’administration de l’aide financière aux étudiants. Les universités sont des entités autonomes et non des départements provinciaux. Autrement dit, on ne retrouve au MEPSFT aucun expert en enseignement ou en recherche, pas plus qu’en administration universitaire. Au niveau de la certification professionnelle, CCNB oblige, les ressources et les services sont cependant plus nombreux.
Un p’tit examen d’applicateur de pesticides, quelqu’un (GNB)? Dire que ça fait des années que, je l’avoue, je tue des moustiques sans ma Classe H…
En tout cas, tout ça pour dire que si vous regardez du côté du MEPSFT pour du leadership en éducation postsecondaire, mieux vaudrait regarder ailleurs. Ça ne signifie par pour autant, en vertu de son rôle acquis de «grand argentier» de l’ÉPS, que le MEPSFT n’aurait pas son mot à dire dans une dispute salariale.
La question reste à savoir qui l’écouterait.
Le financement des universités complique les choses. Dans le système actuel, le gouvernement du N-B alloue chaque année une partie de son budget au financement de l’ÉPS. Cette somme est administrée non pas par le MEPSFT, mais par un organisme externe, en principe impartial, la CESPM (Lien). De son côté, la CESPM impartit aux quatre universités publiques de la province la somme qui leur revient en vertu d’une formule qui date de la fin de la dernière ère glaciaire (petit bienfait : elle est valide même en situation de gel du financement). Donc, chaque année, le gouvernement du N-B ouvre son portefeuille et passe une allocation à la CESPM, en lui disant : « Passe donc ça aux universités. Comment? Pas mon problème ».
Alors vous voyez, le gouvernement a un pouvoir de décision sur la somme globale qui sera attribuée aux subventions de fonctionnement des universités, mais il se détache au maximum du processus. Il y a certes des règles bien précises pour les universités, qui se reflètent dans leur charte respective, et qui doivent être respectées et maintenues pour demeurer bénéficiaires du financement public.
C’est une question d’argent, guère plus.
Donc, quand on entend des appels à l’intervention du gouvernement pour régler la grève des professeurs, en tant que gens du milieu, difficile d’imaginer que nous n’élevions pas un sourcil. On ne peut pas gérer l’université comme on gère une usine : le financement ne provient pas d’un individu particulier, les employés ne sont pas soumis à une autorité suprême. L’Université est régie par le principe de collégialité, autrement dit, d’égalité en vertu de l’adhésion à une vision commune de l’institution. Chaque décision prise par l’Université doit, selon ce principe, faire valoir cette vision commune et améliorer l’institution tout en restant fidèle à sa mission. Littéralement, le pouvoir y est exercé par un groupe, collectivement. Dans les faits, il s’agit plutôt d’un fragile équilibre entre les divers syndicats et l’administration, ce qui demeure une forme de gouvernance collective.
Même le gouvernement, d’après les règles (écrites ou non) de l’Université, ne peut substituer son autorité à celle du collège. Évidemment, cette conception de la gouvernance universitaire tire ses racines du Moyen âge, et le fonctionnement de ces institutions a quelque peu évolué depuis. La collégialité serait plus facile à appliquer à la lettre en situation d’autofinancement, disons. Tel n’est pas le cas : 60% du financement des universités provient toujours de la province du N-B.
La situation est conséquemment plus ambigüe : le gouvernement est, qu’on le veuille on non, responsable d’administrer les fonds publics de manière responsable (autrement dit, d’investir l’argent des contribuables d’une manière censée représenter leur volonté et répondre à leurs besoins), alors il ne peut simplement ignorer le problème. Cependant, comme on l’a vu, il s’est presque totalement désengagé de l’éducation universitaire, allant même jusqu’à faire passer la seule responsabilité qu’il conserve vis-à-vis les universités, soit le financement, par l’entremise d’une tierce partie.
Fredericton en viendra-t-il à forcer un retour au travail? Au nom de la défense de l’investissement des contribuables dans les universités? La chose est douteuse. Pour ce qui est de forcer un retour à la table des négociations, cependant, la chose me semble plus probable, et surtout plus appropriée, si le conflit devait s’étirer.
Pour répondre à la question de départ, il s’agit donc plutôt de non-ingérence que d’indifférence en ce qui concerne la conduite du gouvernement. Une non-ingérence qui, je vous l’assure, est d’ailleurs généralement bien reçue par les parties impliquées.